Le sarmatisme est le nom donné à l’idée protochroniste de la période baroque, dominant dans la Rzeczpospolita à partir de la fin du XVIe jusqu’à la deuxième moitié du XVIIIe siècle.
C’est un singularisme polonais dont il est évident qu’il n’apparaît qu’après l’élection comme roi de Pologne en 1573 d’Henri de Valois, futur roi de France sous le nom d’Henri III.
Est-ce bien lui qui l’aura introduit en Pologne ou lui aura au moins donné une vigueur nouvelle ?
On en retrouve bien des traces parmi ses prédécesseurs en France.
Elles sont très nettes dans la lignée des Valois à partir de Charles V qui se réclamait de son ayeul Jean de Luxembourg, dit l’Aveugle (10 août 1296 – tué à la bataille de Crécy le 26 août 1346), roi de Bohême en 1310 par son premier mariage, comte de Luxembourg en 1313, et roi titulaire de Pologne, qui est l’archétype de l’idéal chevaleresque en vogue au XIVe siècle.
Jeanne d’Arc la Sarmate en aurait été une petite-fille comme fille illégitime de son fils Louis Ier d’Orléans frère cadet de Charles VI devenu fou et de la reine Isabeau de Bavière, dont elle aurait été le dernier enfant, Philippe, née le 10 novembre 1407 et faussement annoncée morte dès la naissance afin de la cacher pour la protéger 13 jours avant l’assassinat de son père.
C’est de toute façon bien elle qui a fait sacrer Charles VII roi de France à Reims le 17 juillet 1429.
Les successeurs de ce dernier sont d’abord ses fils et petit-fils Louis XI et Charles VIII, puis les petits-fils et arrière-petit-fils de Louis Ier d’Orléans Louis XII et François Ier, auquel succèdent son fils Henri II puis ses petits-fils François II, Charles IX et Henri III.
Leurs règnes sont ceux des dames : Agnès Sorel (v. 1422-1450), favorite de Charles VII et première maîtresse officielle d’un roi de France, Anne de Bretagne, épouse successive de Charles VIII et Louis XII et mère de Claude mariée à François Ier, qui apporteront à la France la Bretagne et toute sa culture à forte tonalité sarmate, Diane de Poitiers la belle Amazone, Catherine de Médicis… et jusqu’à Madame de La Fayette qui au XVIIème siècle établira l’action de son célèbre roman La Princesse de Clèves publié anonymement en 1678 à la cour des Valois, « dans les dernières années du règne de Henri Second ».
Dans le même temps, l’indépendance et l’identité nationales s’affirment.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Sarmatisme
Sarmatisme
Stanisław Antoni Szczuka dans un
kontusz – traditionnel habit sarmate, portrait populaire, imaginaire de Stanisław Antoni Szczuki, vers 1735-1740, auteur anonyme
1, palais de Wilanow, galerie
Corazzina (armure de mailles) de
hussard dans le style sarmate
Illustration représentant
Krakus :
Sarmatiae Europeae descriptio, Spira, 1581
Le sarmatisme est le nom donné à l’idée protochroniste de la période baroque, dominant dans la Rzeczpospolita à partir de la fin du XVIe jusqu’à la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Fondée sur la croyance que la petite noblesse polonaise (szlachta) descendait en droite ligne du peuple antique des Sarmates établi entre le Don et l’Oural, cette idée affirmait que la szlachta en avait hérité la vaillance, le courage et le goût de la liberté.
Cette culture est considérée comme un ensemble de règles familiales, sociales et nationales homogènes, mais étonnamment élastiques2.
Le sarmatisme a joué un rôle important dans la littérature baroque polonaise et a beaucoup influencé l’état d’esprit, les mœurs et l’idéologie de la noblesse polonaise. Il influença donc l’identité de la nation polonaise après l’Union de Lublin et eut une importance semblable aux mythes concernant les anciens Germains pour les Allemands, ou les Gaulois pour les Français.
Notes et références
- Rozkwit i upadek I Rzeczypospolitej, pod redakcją Richarda Butterwicka, Warszawa 2010, s. 27.
Articles connexes
https://fr.wikipedia.org/wiki/Noblesse_polonaise
Noblesse polonaise
(Redirigé depuis
Szlachta)
Le terme français noblesse polonaise (szlachta) englobe la haute noblesse et la grande noblesse titrée (aristocratie) ainsi que la moyenne et la petite noblesse de la République des Deux Nations (Pologne-Lituanie), appelée aussi « République nobiliaire » du fait de l’importance numérique et politique des nobles1. En effet, les armoiries et les privilèges d’état nobiliaire étaient le partage aussi bien des membres de la petite noblesse que de grands magnats2 de la haute noblesse.
En Pologne, la noblesse en tant qu’ordre social a été abolie par la constitution en 1921.
Histoire
La noblesse polonaise trouve son origine dans la chevalerie qui, au Moyen Âge, soutenait le roi, des princes ou de grands seigneurs. Elle est apparue aux alentours du Xe siècle à la suite de la création de l’État polonais sur le territoire des Polanes et des autres peuples slaves voisins et apparentés : Vislanes, Slézanes3. Elle est alors composée de l’ensemble des familles combattant pour leur prince. Ces familles d’épée constituent alors l’élite du pays, chacune bénéficiant de terres et de privilèges en rétribution du soutien qu’elles apportent au roi. Progressivement, ces familles prennent de l’importance et concentrent autour d’elles de nouvelles familles anoblies.
En 1791, à la veille de la disparition de l’État polonais souverain, la noblesse polonaise se décompose principalement en deux groupes : la « grande noblesse » constituée par moins de 300 familles possédant des domaines très étendus et occupant souvent les plus hautes charges de l’État dont les magnats, et la « petite noblesse », rassemblant plusieurs milliers de familles de petits propriétaires terriens dont certains pauvres.
République nobiliaire et monarchie élective
En comparaison avec certains pays européens, la noblesse polonaise est plus nombreuse. En 1791, à la veille de la disparition de l’État polonais souverain, elle représente environ 8 à 10 % la population4, contre 1 à 3 % en Allemagne, France ou Russie.
Si dans les autres pays, une grande partie de la noblesse est représentée par des familles anoblies par la robe, en Pologne, au contraire, presque toute la noblesse prétend être la noblesse d’épée, c’est-à-dire issue, depuis des temps immémoriaux, de l’ancienne chevalerie. Selon le sentiment général, la seule voie valable conduisant au blason est celle des mérites acquis sur le champ de bataille.
Par ailleurs, les droits dont jouit la noblesse polonaise sont radicalement différents des privilèges accordés à cet état social dans les autres pays. Outre des privilèges économiques et juridiques, typiques de toute l’Europe, les nobles polonais possèdent droits politiques et garanties civiles comme celles de l’immunité corporelle (Neminem captivabimus nisi iure victum, 1433), le droit de participer à la gouvernance du pays et contrôler les décisions politiques du roi (Nihil novi, 1505), la liberté de religion et l’élection du roi par la noblesse confédérée lors des élections libres (Confédération de Varsovie, 1573), le droit de se retirer d’une allégeance si le roi rompt les lois nationales ou les conditions du pacte conclu avec la nation (pacta conventa) (1573-1609), la justice autonome (1586) et la garantie légale de la liberté d’expression (1609)5.
La noblesse polonaise reconnait l’égalité de sexe dans le domaine de la propriété. Contrairement aux autres pays européens où la femme appartient à son mari ou à sa famille, la Polonaise noble possède des terres en son nom propre6.
À partir du XVIIe siècle, la noblesse polonaise se considère comme seule et unique nation. Cette cécité pour l’existence des autres corps sociaux, critiquée déjà au XVIe siècle par, entre autres Andrzej Frycz Modrzewski ou Jan Łaski, est encore dénoncée par les réformateurs à la fin du XVIIIe siècle, ainsi que les historiens jugeant cette caste à la lumière de l’effondrement et des partages par les monarchies absolues voisines de la République des Deux Nations.
La liberté dorée et ses limites
Depuis le XVIe siècle les nobles polonais entendent par liberté l’exercice par les citoyens de leur propre volonté et non de celle de leur souverain. Le roi n’est que primus inter pares et théoriquement tout noble peut prétendre à se faire élire roi par ses pairs.
La liberté de la parole et des réunions politiques de la noblesse est complète. La communauté des nobles, agissant comme nation politique dans l’État, doit, en collaboration avec le roi électif, donc faible, gouverner le pays par l’intermédiaire de la Diète composée des dignitaires du Royaume, tous nobles, et par l’intermédiaire des communautés régionales des nobles, les diétines7.
L’essor du parlementarisme va de pair avec la liberté religieuse qui à l’époque de la Reforme fait figure d’exception en Europe. Ainsi dès la fin du XVIe siècle, l’État polono-lituanien plurinational et pluriconfessionnel comprend des Polonais, des Lituaniens, des Allemands, des Juifs, des Ruthènes c’est-à-dire des futurs Biélorussiens et des Ukrainiens, et il accueille aussi bien des catholiques, des orthodoxes et des juifs que des Arméniens et des musulmans8.
La Contre-Réforme de la fin du XVIe siècle change cet état de grâce et déséquilibre ce grand ensemble. En effet, au cours du XVIIe siècle la religion catholique devient, à côté de la langue, un facteur primordial pour la distinction de l’identité nationale polonaise par rapport aux nations voisines pratiquant l’orthodoxie (à l’est), l’islam (à l’est et au sud) et le protestantisme (à l’ouest et au nord). Cela prend d’autant plus d’importance que le XVIIe siècle est un siècle des guerres aux frontières qui se succèdent sans répit : contre la Turquie, contre la Moscovie, contre la Suède. C’est également l’époque d’un affrontement avec le Brandebourg et la Prusse. Il s’agit donc des guerres contre les orthodoxes, les musulmans et les protestants et la Pologne devient une sorte de rempart du catholicisme. C’est à cette époque et notamment après l’invasion suédoise de 1655, vécue comme une véritable croisade contre les catholiques, que l’on commence à identifier la polonité avec le catholicisme8.
Au cours de ce siècle, la République perd un tiers de sa population, une grande partie de son territoire et son statut de puissance régionale. Les villes, les mines, les fonderies, les bâtiments ruraux, les semailles sont ravagés et les troupeaux décimés9.
Indissociable du droit constitutionnel polonais, le Liberum veto appliqué dans la Diète polonaise à partir de 1652, permet à un seul député opposant d’annuler les décisions de l’Assemblée. Conçu comme une garantie contre toute atteinte aux libertés individuelles, son usage avec le temps connait des dérives et à l’époque des invasions de ses puissants voisins Russes, Autrichiens, et Prussiens, devient un instrument de la paralysie des institutions polonaises10,11.
Le manque de reformes fige le système et se traduit à la fois par l’immobilité sociale et l’ascension vers la deuxième moitié du XVIIe siècle d’une oligarchie toute-puissante de magnats. Leur domination économique et politique croissante se fait au détriment de l’importance et le nombre de la noblesse moyenne12.
Au milieu du XVIIIe siècle, une poignée de familles : Radziwiłł, Potocki, Branicki, Zamoyski, Lubomirski, Czartoryski, et Sapieha accaparent la plupart des charges héréditaires et accumulent des fortunes terriennes plus importante que celle de la Couronne. Leurs états dans l’État peuplés de centaines de milliers de serfs et leur loyalisme suspect envers la République devient la cible de toutes intrigues étrangères. Leur participation à la confédération de Targowica en 1792 qui a mené directement à la chute du pays est jusqu’à aujourd’hui symbole et synonyme de la haute trahison13.
Sarmatisme comme mythe fondateur de la noblesse polonaise
La nation nobiliaire plurinationale et pluriconfessionnelle a besoin d’une idéologie qui réconcilie toutes les sensibilités. À partir du XVIe siècle apparait le mythe protochroniste d’une origine commune à tous les nobles, censés être issus des Sarmates, un peuple cavalier scythe de l’Antiquité, dont la noblesse polonaise aurait hérité la vaillance, le courage et le goût de la liberté. L’identité sarmate combine un sentiment de supériorité sur les roturiers avec un égalitarisme entre nobles. On loue d’autant plus cette égalité juridique qu’elle est de plus en plus menacée par la puissance des « magnats« .
L’historien Jan Długosz est le premier à en faire un récit ; les poètes Jan Kochanowski, Mikołaj Rej et beaucoup d’autres exaltent leurs ancêtres.
Transmission de la noblesse en Pologne
Noblesse héréditaire
La noblesse polonaise est héritée par tous les membres de la famille. Les statuts de Wiślica (1346-1347) du roi Kazimierz le Grand précisent que pour appartenir à la noblesse, il faut que les deux parents en soient issus. La constitution Nihil novi de 1505 restreint l’état de noblesse à ceux qui ont les deux parents nobles et vivent dans leurs domaines familiaux, ce qui veut dire que les nobles doivent être des propriétaires terriens.
Cependant, la naissance n’est pas le seul moyen légal pour obtenir la noblesse associée au droit aux armoiries.
Noblesse personnelle
La noblesse personnelle n’était pas héréditaire. Elle concerne principalement le clergé et par le privilège du roi Sigismund Auguste de 1535, elle est également octroyés aux professeurs de l’Université de Cracovie. Au XIXe siècle, elle concerne les polonais membre à titre personnel de la noblesse d’empire ou de la noblesse pontificale.
Adoption héraldique
Dans sa forme originelle, l’adoption héraldique consiste en adoption des armoiries du roi ou celles des familles d’épée comme cela a eu lieu à l’occasion de l’Union conclue à Horodło en 1413 entre le Royaume de Pologne et le Grand duché de Lituanie. Pour sceller la fédération politique des deux états, quarante-sept familles polonaises admettent alors dans leurs blasons des boyards lituaniens fraichement convertis au catholicisme14. Par exemple, celle qui deviendra une des plus puissantes maisons de la République des Deux Nations, la famille Radziwiłł, adopte alors en personne du boyard Kristinas Astikas les armoiries Trąby de l’archevêque de Gniezno Mikołaj Trąba.
La pratique de l’adoption héraldique s’arrête en XVIe siècle, interdite par la Diète polonaise en 1616. Désormais, seule l’assemblée nationale a le droit d’élever au rang de la noblesse, ce qui équivaut au droit de vote. L’anoblissement ainsi voté est inscrit dans les constitutions parlementaires et publié.
A partir de 1669, les nouveaux anoblis ne reçoivent qu’une noblesse incomplète (skartabellat). Le droit aux dignités et charges laïques et ecclésiastiques est acquis seulement en troisième génération. En 1775, les candidats à la noblesse ont l’obligation de posséder ou acheter une propriété foncière.
Indigénat
L’intégration des nobles étrangers à la noblesse polonaise, appelée Indygenat du latin indigenatio, équivaut à l’acquisition de la citoyenneté polonaise et donc au droit de vote. Initialement, la noblesse polonaise est octroyée aux étrangers par le monarque et ensuite approuvé par la Diète. C’est le roi Stefan Batory, d’origine hongroise, qui en fait l’usage pour la première fois en 1578 pour ses fils, le cardinal André Báthory et Boldizsár Báthory.
A partir 1641, l’intégration des nobles étrangers se fait uniquement par la voie d’une résolution de la Diète polonaise. L’étranger ainsi anobli doit ensuite prêter serment d’allégeance à la République des Deux Nations et au roi. Le droit aux dignités et charges laïques et ecclésiastiques est acquis seulement en troisième génération.
À partir de 1775, les étrangers anoblis doivent aussi acquérir des terres polonaises d’une valeur précise, appartenir à l’Église catholique romaine, et s’établir dans le pays15.
Il n’est pas étonnant qu’avec cette procédure, sous toute l’ancienne République, la Diète ait validé plus de 1500 titres de noblesse aux étrangers16.
Dans la Prusse royale, vassale de la Pologne, il existait un indigénat prussien séparé.
Les titres de noblesse en Pologne
Parmi les titres portés par des familles nobles polonaises, nous retrouvons essentiellement ceux de Prince, Comte et Baron. Une seule famille polonaise porte un titre de marquis : les Wielopolski.
Aucune famille polonaise ne possède de titre qui ne soit confirmé par un document. Les usurpations de titres sont très rares17.
Dans le Royaume de Pologne et la République des Deux Nations
Spécificité polonaise, les titres de noblesse sont combattus par la noblesse polonaise comme créant des distinctions inacceptables en son sein. Lorsque vers 1420 le roi Władysław Jagiełło, sur les instances de sa troisième épouse, s’apprête à faire comte son beau-fils Jan de Pilcza, le chancelier du royaume Wojciech Jastrzębiec refuse d’apposer le sceau de l’État sur une décision qu’il juge contraire aux libertés et coutumes du pays. Pour les mêmes raisons, la noblesse polonaise s’oppose longtemps à la création d’ordres de chevalerie.
L’exception est faite cependant pour le titre de prince, réservé uniquement aux fils du roi régnant. Pour reconnaître l’importance de la famille et de la tradition, ce titre est « hérité » de manière informelle. Les seuls titres polonais anciens sont donc ceux des familles princières lituano-ruthènes confirmées dans l’acte de l’Union de Lublin de 1569.
Pour la même raison, l’ordre de l’Aigle Blanc créé au XVIIIe siècle par le roi Auguste II issu la dynastie saxonne n’est pas approuvé par la Diète polonaise. Cette distinction est donc décernée surtout à des étrangers.
Un petit nombre de familles polonaises porte toutefois un titre obtenu dans des circonstances exceptionnelles. Au XVIIIe siècle deux familles, les Poniatowski en 1764 et les Poniński en 1773, se voient accorder le titre de prince par la Diète. Quelques familles portent un titre décerné par le Saint-Siège. Par exemple, le pape Leo XIII accorde aux Sobański le titre de comte.
Sous la domination étrangère après la disparition de l’État polonais en 1795
Après la disparition de l’État polonais souverain à la suite des partages de la Pologne entre le Royaume de Prusse (protestant), l’Empire russe (orthodoxe) et l’Empire autrichien (catholique), la noblesse polonaise perd ses privilèges politiques, mais sa propriété foncière continue de lui assurer une position dominante dans la société et de conserver son prestige social12.
Les puissances occupant la Pologne entreprennent de grands travaux de vérification des titres. Pour gagner la faveur des grandes familles de l’ancienne République des Deux Nations, les occupants suivent tous la même politique. Ils confirment les titres nobiliaires à des familles riches et aristocratiques, tandis que la petite noblesse est confrontée à davantage de difficultés.
La dévolution des titres nobiliaires confirmé par les souverains prussiens, autrichiens ou russes, suit désormais les règles propres du souverain qui les a accordés. Ainsi la plupart des titres dynastiques prussiens, autrichiens et russes sont transmis par les hommes à l’ensemble de leurs enfants. Les titres du Saint-Siège ou du premier Empire français (un petit nombre de familles ont obtenu un titre de baron) sont le plus souvent personnels ou transmissibles par ordre de primogéniture masculine.
Dans l’Empire russe
L’essentiel de nouveaux « titres polonais » obtenus par des familles au XIXe siècle est décerné par l’Empire russe. Quinze familles se voient reconnaître la qualité de prince au titre du Royaume de Pologne : les Czartoryski, Czetwertyński-Światopełk (en), Drucki-Lubecki, Giedroyc, Jabłonowski (en), Lubomirski, Mirski (en), Ogiński (en), Puzyna (en), Radziwiłł, Sanguszko, Sapieha, Woroniecki (pl), Zajączek18 et même Szujski.
La noblesse polonaise bénéficie d’un traitement assez favorable sous Paul Ier, qui rétablit les diètes provinciales, et son fils Alexandre Ier, qui confie des postes importants à des Polonais comme Adam Jerzy Czartoryski ou Seweryn Potocki (pl) et développe à leur intention les universités de Vilnius et Kharkiv. La petite noblesse, ne possédant ni terres ni serfs, est proportionnellement beaucoup plus nombreuse que son équivalent russe ; beaucoup de ses membres, ne pouvant prouver leur origine noble, sont soumis à l’imposition et à la conscription. Malgré ces radiations, la szlachta représente 64% de la noblesse de l’empire en 1816 et 55% en 185019.
De nombreuses déportations au fond de l’Empire russe qui suivent les défaites des soulèvements polonais contre l’Empire russe, notamment l’Insurrection de Novembre 1830 et l’Insurrection de Janvier 1863, réduisent les rangs de la noblesse polonaise.
Une nouvelle action de légitimation de la noblesse menée dans les années 1836-1861 aboutit à un Inventaire des blasons du Royaume de Pologne (Heroldia). Il en ressort que la part de la noblesse dans la population s’est réduit.
Dans l’Empire autrichien
Dans la partition autrichienne, on introduit des rangs de noblesse. La noblesse est divisée en seigneurs (magnats) et chevaliers. La première catégorie comprend les familles titrées : les princes (uniquement les descendants des dynasties régnantes), les comtes (familles ayant reçu ce titre encore à l’époque de la République polono-lituanienne) et les barons. Le deuxième groupe est divisé en deux sous-groupes : l’ancienne noblesse (Uradel), la noblesse récente (Briefadel) et Landadel.
Dans l’Empire allemand
Dans la partition prussienne, on adopte des critères similaires de celle de l’empire autrichien en ajoutant la condition de possession de biens fonciers.
XXe siècle
En Pologne reconstituée en 1918, la noblesse en tant qu’ordre social est abolie par la Constitution de 1921. L’article 96 de cette constitution déclare que l’État polonais renaissant ne reconnait aucun blason, titre ou privilège héréditaire. La Constitution polonaise d’avril 1935 abolit (article 81, paragraphe 2) les dispositions précédentes et les citoyens sont à nouveau autorisés à utiliser leurs titres dans leurs documents personnels.
Persécutions
Au XXe siècle, beaucoup de manoirs et d’archives ont brûlé lors des deux guerres mondiales. Les occupants allemands et russes ont attaqué en priorité les élites, dont les nobles polonais.
La noblesse polonaise est perçue comme une classe hostile qui devait être exterminée par les deux puissances totalitaires qui l’ont occupée en 1939 : l’Allemagne hitlérienne et l’URSS stalinienne. Les survivants ont caché leurs origines nobiliaires sous la République populaire de Pologne pour éviter le statut compromettant de « descendants d’ennemis du peuple » 2021,22.
Les suites de la Seconde Guerre mondiale ainsi que la période de Guerre froide ont accentué ce phénomène de dissémination jusqu’à la chute du rideau de fer.
Aujourd’hui
Au XXIe siècle, la noblesse polonaise subsiste toujours, bien qu’elle soit beaucoup moins nombreuse que par les siècles passés.
On trouve toujours des nobles polonais en Pologne, essentiellement composés de descendants de la grande noblesse de Pologne. Pour le reste, il y a une dissémination de la petite noblesse polonaise dans le monde entier. De nombreux nobles ont émigré à la suite de la Première Guerre mondiale mais surtout après les révolutions russes, lesquelles représentaient pour cette population un grand danger.
La Seconde Guerre mondiale ainsi que la période de Guerre froide ont accentué ce phénomène de dissémination ; jusqu’à la chute du mur de Berlin, de nombreux nobles polonais ont quitté le pays et émigré vers l’Ouest. Parmi certains clans ou groupes, on peut citer : les Bieniewski, les Debski, les Glinski, les Princes Starza de Szolayski, les Lukawski, les Meleniewski, les Rzewuski23, les Rynski devenus par alliance Rynski d’Argence ou encore les Nabut émigrés en France comme restés en Pologne24. On trouve donc de nos jours de nombreux nobles polonais dans les pays occidentaux tels que l’Allemagne, la Belgique, la Suisse mais surtout les États-Unis et la France ; ces derniers restent discrets sur leurs origines nobles qui ont été longtemps synonyme d’un danger au XXe siècle.
Caractéristiques des noms nobles polonais
Les noms nobles en Pologne ne sont pas précédés d’une particule nobiliaire pour signaler l’appartenance à la noblesse. Néanmoins, des signes distinctifs permettaient d’identifier les nobles.
Tout d’abord la particule nobiliaire von, qui n’est pas polonaise mais germanique et que l’on retrouve devant quelques noms nobles polonais.
Ensuite, la terminaison du nom : généralement, les noms de familles nobles polonais se terminent par -ski / -cki, originellement assimilable à la particule nobiliaire « de » ou « von », et caractéristique des anciennes familles polonaises. Cependant, avec le temps, les noms de famille polonais se terminant par -ski commencent à se répandre également parmi les bourgeois et les paysans. Le suffixe -ski peut donc être considéré comme une preuve d’origine noble lorsqu’il s’agit d’un nom formé avant la seconde moitié du XVIIIe siècle. Les noms de famille formés à partir du XIXe siècle avec les suffixes -ski et -cki n’ont rien à voir avec la noblesse, sauf une tentative de rehausser le statut social de la personne en question. Les XVIIIe et XIXe siècles connaissent une véritable avalanche de noms de famille de ce type25.
Toponymie
Autrefois, les nobles seuls avaient des noms de famille. C’étaient le plus souvent des noms de domaine, pourvus d’un suffixe. Par exemple : d’Opalenica = Opaliński, de Branice = Branicki. Il est à noter qu’au Moyen Âge, le nom d’un domaine ne passe pas au nouvel acquéreur : l’ancien propriétaire garde son nom après la vente26.
Ainsi, les noms des nobles de l’ancienne République des Deux Nations portent un suffixe en -ski ou en -cki, qui se décline pour les femmes en -ska ou en -cka et dont l’usage était autrefois réservé à la noblesse.
Armoiries
Dans la République des Deux Nations, le nom de famille est toujours accompagné du nom du blason accordé à la famille (en polonais : herb) qui est la plupart du temps différent de celui de la famille. Par exemple, les Zamoyski portent le blason Jelita (en français : intestins) sur lequel figurent trois lances, en mémoire de leur ancêtre, le chevalier Florian Szary, anobli par le roi Władysław Łokietek pour ses faits d’armes après qu’il eut ses entrailles perforées par trois lances à la bataille de Płowce en 1331. Les Zamojski partagent cette légende avec d’autres familles de leur clan héraldique Jelita.
En effet, de nombreuses familles nobles polonaises portent et signent leur nom du même blason (armoiries). Cela vient de l’ancienne pratique de la chevalerie polonaise consistant à adopter le même blason par des familles non apparentées, mais servant sous une même bannière, mais également, de la pratique de l’anoblissement par adoption héraldique.
Si dans la République des Deux Nations, les armoiries (herb) figurent systématiquement aux côtés des noms de nobles sur des documents officiels, aujourd’hui cet usage est rare et généralement officieux et oral.
Prédicats nobiliaires
Quelques familles polonaises faisaient figurer sur des écrits des prédicats nobiliaires d’origine latine : nobilis, honestus, generosus, illustris ou celcissimus. La langue latine étant très populaire en Pologne, des expressions et des tournures d’origine latine émaillent les écrits des » Sarmates » polonais.
Traduction dans la langue et la tradition françaises
Si aujourd’hui de multiples combinaisons existent, elles reflètent les difficultés de traduction dans la tradition de la noblesse française. Par exemple, Jan Zamoyski appartenant au clan héraldique Jelita peut combiner son nom de la manière suivante (les versions sont classées selon les évolutions chronologiques des habitudes en la matière) : M. Jan Zamoyski des amoiries Jelita ou M. Jan Zamoyski du clan Jelita (formules les plus anciennes, utilisées dans le vieux royaume de Pologne), M. Jan Jelita Zamoyski ou M. Jan Jelita-Zamoyski (formules du XVe au XVIIe siècle reprenant le modèle des noms écrit en latin), M. Jan de Jelita-Zamoyski ou M. Jan Zamoyski de Jelita (formules utilisées par les descendants des émigrés polonais venus en France au début du XIXe siècle).
Selon la tradition polonaise, le fils naturel de Napoléon, s’appelle donc le comte Alexandre Walewski des armoiries Colonna (ces armoiries lui sont coférées par des lettres patentes et mélangent les blasons de ses parents légaux : de Maria Walewska née Łączyńska et de son époux Anastazy Walewski). En France, le comte est connu sous le nom de Alexandre Colonna Walewski.
Notes et références
Voir aussi
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Articles connexes
Liens externes
- Norman Davies, Histoire de la Pologne, Fayard, 1986, p. 325
- Norman Davies, Histoire de la Pologne, Fayard, p. 361
- « VIIe – Xe siècle : naissance d’une nation » [archive], sur larousse.fr
- Michel Figeac, Noblesse françaises et noblesse polonaise, Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, 2006, « Noblesse et rapports sociaux », p. 609-611
- Anna Grześkowiak-Krwawicz (dir.), Noblesse française et noblesse polonaise, Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, 2006, « La liberté polonaise : privilège nobiliaire ou idée universelle ? », p. 299-311
- Norman Davies, Histoire de la Pologne, Fayard, 1986, p. 363-364
- Stanisław Salmonowicz (dir.), Noblesse française et noblesse polonaise, Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, 2006, « Le pouvoir absolu du noble polonais dans son manoir », p. 153-160
- Maciej Serwański (dir.), Chocs et ruptures en histoire religieuse, Presses universitaires de Rennes, 1998, 85-94 p. (lire en ligne [archive]), « Catholicisme et identité nationale des Polonais au XIXe siècle »
- Stanislaw Fiszer, Réalités et représentations de la richesse dans l’Europe des XVIe et XVIIe siècles, 2010, Bialec, « Splendeurs de la noblesse polonaise désargentée, d’après les mémorialistes du XVIIe siècle »
- Jean-Philippe Feldman, « Le liberum veto. Essai sur le “purgatoire de la liberté” en Pologne (XVIe – XVIIIe siècle) », Dans Droits, vol. 49, janvier 2009, p. 243-253
- Norman Davies, Histoire de la Pologne, Fayard, 1986, p. 331
- « Szlachta » [archive], sur encyklopedia.pwn.pl/
- Norman Davies, Histoire de la Pologne, Fayard, 1986, p. 328-329
- Danielle Skakalski, « Noblesse lituanienne et noblesse volynienne au XVe siècle », Cahiers du monde russe et soviétique, vol. 23, nos 3-4, juillet-décembre 1982, p. 275-311
- Tadeusz Łepkowski, Słownik historii Polski, hasło „Indygenat”, Warszawa, Wiedza Powszechna, 1969, p. 115
- Janusz Tazbir, « La culture nobiliaire en Pologne aux XVIe et XVIIIe siècles », Acta Poloniae Historica, 40, 1979
- Marcin Libicki, « La noblesse polonaise: ses origines, ses différenciations et sa fin », Communauté Franco-Polonaise, 28 octobre 2011
- Prince Piotr Vladimirovich Dolgorouky, A Handbook of the principal Families in Russia, Londres, 1858, p.152 [1] [archive].
- Andreas Kappeler, The Russian Empire: A Multi-ethnic History, Routledge, 2014, p. 82-83 [2] [archive]
- La classification sociale marxiste-léniniste s’appliquait aussi bien en République populaire de Pologne qu’en URSS : Viktor Pavlovitch Mokhov, (ru) Советская номенклатура как политический институт, номенклатура в истории советского общества (« La nomenklatura soviétique comme institution politique : classification et histoire de la société soviétique »), Perm 2004.
- Alexandre Zinoviev, Le Communisme comme réalité, Julliard, 1981, p. 58-60
- C’est sur ce barème que se basait l’action de la police politique : le 1er novembre 1918, Martyn Latsis, définit, dans le journal La Terreur rouge du 1er novembre 1918, les tâches de cette police : « La Commission extraordinaire n’est ni une commission d’enquête, ni un tribunal. C’est un organe de combat dont l’action se situe sur le front intérieur de la guerre civile. Il ne juge pas l’ennemi : il le frappe. Nous ne faisons pas la guerre contre des personnes en particulier. Nous exterminons la bourgeoisie comme classe. Ne cherchez pas, dans l’enquête, des documents et des preuves sur ce que l’accusé a fait, en acte et en paroles, contre le pouvoir soviétique. La première question que vous devez lui poser, c’est à quelle classe il appartient, quelle est son origine, son éducation, son instruction et sa profession. Ce sont ces questions qui doivent décider de son sort. Voilà la signification et l’essence de la Terreur rouge ». Cité par Viktor Tchernov dans Tche-Ka, ed. E. Pierremont, p. 20 et par Sergueï Melgounov, La Terreur rouge en Russie, 1918-1924, éditions des Syrtes, 2004, ( (ISBN 2-84545-100-8)).
- CP Multimedia / Interencheres.com, « Art russe et noblesse polonaise » [archive], sur Dailymotion (consulté le 2 avril 2021)
- « HYERES [VAR] : Table des mariages » [archive], sur aieuxvarois.free.fr (consulté le 2 avril 2021)
- « Etymologia nazwisk » [archive], sur genealogiapolska.pl
https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_III_(roi_de_France)
Henri III (roi de France)
Henri IIIn 1, né le 19 septembre 1551 à Fontainebleau et mort assassiné le 2 août 1589 à Saint-Cloud, est roi de Pologne sous le nom d’Henri Ier (Henryk en polonais) de 1573 à 1575 et roi de France de 1574 à 1589. Il est le dernier monarque de la dynastie des Valois.
Quatrième fils du roi Henri II et de la reine Catherine de Médicis, Henri n’est pas destiné à la couronne. Sous le règne de son frère Charles IX, il s’illustre comme chef de l’armée royale en remportant sur les protestants les batailles de Jarnac et de Moncontour. À l’âge de 21 ans, il se porte candidat pour le trône vacant de Pologne et se voit élu sous le nom d’Henryk Walezy, roi de Pologne et grand-duc de Lituanie. Son règne est bref, puisqu’à l’annonce de la mort de son frère, sans descendant mâle, il abandonne son royaume pour lui succéder sur le trône de France.
En devenant roi de France, Henri III hérite d’un royaume divisé où son autorité n’est que partiellement reconnue. Son règne est marqué par d’importants problèmes religieux, politiques et économiques. Quatre guerres de Religion se déroulent sous son règne. Henri III doit faire face à des partis politiques et religieux soutenus par des puissances étrangères qui finissent par venir à bout de son autorité : le parti des Malcontents, le parti des protestants et, enfin, la Ligue. Il meurt à Saint-Cloud après avoir été poignardé par le moine Jacques Clément.
Son emblème est constitué de trois couronnes, symbolisant les royaumes de France et de Pologne ainsi qu’une devise qui explique la troisième couronne : « Manet ultima cælo » (« La dernière se trouve au ciel »).
Premières années
Jeunesse
Quatrième fils du roi Henri II et de la reine Catherine de Médicis, le nouveau-né est initialement baptisé le 5 décembre dans la chapelle haute Saint-Saturnin sous le prénom d’Alexandre Édouard (prénoms de ses deux parrains, le cardinal Alexandre Farnèse, allié des Français en Italie, et le jeune roi Édouard VI d’Angleterre)2, et titré duc d’Angoulême. En 1560, à l’avènement de son frère Charles IX, il devient duc d’Orléans. Il prend lors de sa confirmation à Toulouse, le 17 mars 1565, le prénom de son père : Henri3. Le 8 février 1566, il devient duc d’Anjou.
Jusqu’à la mort de son père, Henri grandit avec ses frères et sœurs aux châteaux de Blois et d’Amboise. Au sortir de la petite enfance, il est confié à deux précepteurs connus pour leur humanisme, Jacques Amyot et François de Carnavalet. C’est auprès d’eux qu’il apprend à aimer les lettres et les discussions intellectuelles4.
Il exerce très tôt son rôle de prince royal. À 9 ans, il siège à côté de son frère le roi Charles IX aux états généraux de 1560. Il l’accompagne ensuite dans son grand tour de France et en 1565, à l’âge de quatorze ans, il se voit chargé, à l’occasion de l’entrevue de Bayonne d’aller en Espagne chercher sa sœur la reine Élisabeth.
En grandissant, il devient l’enfant préféré de sa mère Catherine de Médicis qui désire qu’Henri devienne le plus ferme appui de la royauté. Le 12 novembre 1567, jour de la mort du connétable Anne de Montmorency, le jeune prince est nommé lieutenant général du Royaume, haute charge militaire qui fait de lui le chef des armées royales. À seize ans, le duc d’Anjou devient ainsi « une sorte d’alter ego du monarque », destinataire des doubles de toutes les dépêches. Bien qu’Henri commande officiellement l’armée, l’autorité effective reste toutefois assumée par Gaspard de Saulx-Tavannes, lieutenant général de Bourgogne et seigneur catholique rompu à l’art de la guerre5. Cette nomination contrarie les ambitions politiques du prince Louis de Condé, qui convoitait également cette charge. Leur mauvaise entente pousse Condé, également chef des protestants, à quitter la cour et à rouvrir les hostilités.
Henri s’investit alors personnellement durant les deuxième et troisième guerres de Religion. Adroitement conseillé par Gaspard de Saulx-Tavannes, il s’illustre en remportant la bataille de Jarnac, au cours de laquelle Condé est assassiné en 1569 par Joseph-François de Montesquiou, capitaine de ses gardes, puis celle de Moncontour. Henri laisse la dépouille princière être tournée en ridicule par le peuple et promenée pendant deux jours sur une ânesse, s’attirant ainsi la rancœur d’Henri Ier de Bourbon-Condé, le fils et successeur de Louis.
Les hauts faits militaires d’Henri durant la guerre ont développé sa réputation en Europe tout en attisant la jalousie du roi son frère, à peine plus âgé que lui. Sa grâce et sa popularité, ainsi que sa pratique de l’ingérence politique, irritent Charles IX, avec qui Henri s’entend de plus en plus mal.
Très tôt, le duc d’Anjou est confronté à la politique. Plus proche des Guise que des Montmorency, il prône au sein du conseil royal — où sa mère l’a introduit — une politique de rigueur contre les protestants. Son ambition de gouverner et ses aptitudes à le faire font de lui, aux yeux de ses contemporains, un successeur potentiel très attendu. Catherine de Médicis nourrit l’ambition de lui faire épouser une haute princesse, mais Henri n’a d’yeux que pour la belle Marie de Clèves. Tandis que la reine mère persiste à vouloir donner à son fils une couronne royale en Europe, les tractations avec Élisabeth Ire, reine d’Angleterre, échouent à cause des exigences religieuses du prince.
Durant les épisodes de la Saint-Barthélemy, Henri prend parti pour une action contre les chefs protestants : s’il n’est pas possible de prouver sa présence dans les rues au moment du massacre, il est en revanche certain que ses hommes participent activement au meurtre des militaires protestantsn 3,6,7.
En janvier 1573, le roi lui confie le commandement de l’armée pour s’emparer de la ville de La Rochelle, capitale du protestantisme français. Malgré les moyens utilisés, le siège s’avère un échec. Les pertes du côté catholique sont importantes et Henri lui-même est blessé. La trêve est sonnée quand Henri apprend de sa mère qu’il a été élu roi de Pologne.
Roi de Pologne et grand-duc de Lituanie
La reine Catherine envoie l’évêque de Valence, Jean de Monluc, accompagné de son secrétaire Jean Choisnin, conseiller du roi, en ambassade extraordinaire pour soutenir devant la Diète la candidature de son fils au trône polonais, lors de l’élection libre de 1573. Grâce à son talent de diplomate, l’évêque iréniste Monluc réussit à convaincre les 40 000 nobles électeurs (catholiques et calvinistes, malgré la nouvelle du massacre de la Saint-Barthélemy qui compromet les chances d’Henri)8. Le 11 mai 1573, Henri est élu roi de la Rzeczpospolita de Pologne-Lituanie sous le nom d’Henri de Valois (Henryk Walezy). Le 19 août 1573, une grande délégation polonaise composée de 10 ambassadeurs et 250 gentilshommes est expédiée en France pour aller le chercher. Le nouveau roi est obligé de signer la première Pacta Conventa et Les Articles du Roi Henry (Artykuły Henrykowskie), que tous les souverains polono-lituaniens de l’avenir auront à respecter. Selon ces documents Henri doit arrêter les persécutions contre les protestants en France et estimer la tolérance religieuse en Pologne conforme à la Confédération de Varsovie (Konfederacja Warszawska, 1573). Henri, aucunement pressé de quitter la France, fait traîner son départ mais doit s’exécuter devant les exigences du roi son frère, à qui il fait ses adieux en décembre 1573.
Parti de Fontainebleau, il arrive à Cracovie le 18 février 1574 après une traversée assez difficile des pays allemands. Il est accompagné par une troupe nombreuse de gentilshommes de qualité : Albert de Gondi, René de Villequier, Louis de Gonzague, Charles de Mayenne, François d’O9.
Le 21 février, le jeune prince de 23 ans est sacré roi dans la cathédrale Saint-Stanislas10, mais refuse d’épouser Anna Jagellon, sœur de Sigismond II Auguste, une femme quinquagénaire qu’il juge « laide »11.
Il apprend par une lettre le 14 juin 1574 la mort de son frère Charles, et songe alors à quitter la Pologne. Un roi de Pologne ne jouit pas d’autant de pouvoir qu’un roi de France et Henri regrette la cour de France réputée dans toute l’Europe pour ses fêtes. Sans la permission de la diète de Pologne, il s’échappe en catimini dans la nuit du 18 juin 1574 du palais royal du Wawel.
À des égards, la culture polonaise aurait eu une influence sur la France.[non neutre] À Wawel, les Français ont été initiés aux nouvelles installations septiques, dans lesquelles la litière (excréments) a été emportée à l’extérieur des murs du château. De retour en France, Henri aurait voulu ordonner la construction de telles installations au Louvre et dans d’autres palais.[source insuffisante] 12,13,14,15,16,17.
Après un interrègne de dix-huit mois, la diète élit un nouveau roi de Pologne en la personne d’Étienne Báthory, prince de Transylvanie (1575).
Retour en France
Henri arrive à Vienne en Autriche, le 23 juin où il rencontre l’empereur Maximilien II. La capitale autrichienne l’accueille avec faste et il y dépense près de 150 000 écus. Il atteint ensuite l’Italie et s’y arrête plus longuement.
La magnificence avec laquelle la république de Venise le reçoit à son tour émerveille le jeune souverain18. Il a peut-être là une brève liaison avec la courtisane Veronica Franco.
Il passe ensuite à Padoue, Ferrare et Mantoue. En août, il est à Monza où il rencontre Charles Borromée qui l’impressionne vivement. À Turin, il retrouve sa tante Marguerite de France, puis le duc de Savoie vient le chercher pour l’emmener à Chambéry. Il traverse donc les Alpes à bord d’une litière vitrée. Il rapporte certaines modes, notamment – selon la légende – celle de la fourchette19.
Il arrive à Chambéry le 2 septembre 1574 où il retrouve son frère François d’Alençon et son cousin Henri de Navarre. Le 6 septembre il est accueilli à Lyon par sa mère. Il souhaite l’annulation du mariage de Marie de Clèves afin de l’épouser, mais le 30 octobre, alors qu’il vient d’arriver à Avignon, il apprend la mort de celle-ci. Cette nouvelle l’anéantit et il refuse de s’alimenter pendant dix jours.
Le 13 février 1575, Henri troisième du nom, est sacré dans la cathédrale de Reims par le cardinal de Guise. Lors du sacre, la couronne de sacre manque à plusieurs reprises de tomber de la tête du nouveau souverain, et les célébrants oublient de faire jouer le Te Deum. Le 15 février, il épouse Louise de Vaudémont-Nomény, princesse de Lorraine. Il n’a pas d’enfant de ce mariage d’amour20.
Roi de France
Le début d’un règne marqué par la guerre
Portrait équestre du roi Henri
III.
Chantilly,
musée Condé,
XVIe siècle.
Lors de son avènement, le souverain apparaît sur un fond de ruines comme l’élu qui restaurera la France.
Dès son avènement, Henri III se voit confronté à la guerre menée par Henri de Montmorency, comte de Damville, dit roi du Languedoc. À la Cour, il doit faire face aux complots fomentés par son frère François d’Alençon, qui mène le parti « des Malcontents », et le roi de Navarre, le futur Henri IV, lesquels finissent par s’enfuir de la cour et prendre les armes. Tandis qu’Alençon s’allie avec le parti protestant, le roi de Navarre retourne à la religion calviniste. La campagne qui s’engage alors s’avère désastreuse pour le roi. Le prince de Condé a fait appel au fils du comte palatin du Rhin Jean Casimir, qui vient avec ses mercenaires menacer Paris. Malgré la victoire du duc de Guise à Dormans sur l’avant-garde, Henri III doit s’incliner. Le 6 mai 1576, il accorde l’édit de Beaulieu, autrement appelé la paix de Monsieur dont son frère François sort principal gagnant. Henri III lui accorde le titre de duc d’Anjou. Les protestants obtiennent quant à eux de très nombreux avantages, ce qui renforce la rancœur des catholiques et contribue à faire naître les premières ligues.
Humilié, Henri III ne cherche qu’à prendre sa revanche. Il doit tout d’abord réunir à la fin de l’année les états généraux à Blois dans le but de combler les déficits budgétaires causés par la guerre. Sous la pression des députés catholiques, Henri III décide de reprendre la guerre contre les protestants. Auparavant, il a pris soin de se réconcilier avec son frère qui, comblé de bienfaits, marche à ses côtés. Henri de Montmorency se rallie également à la cause royale. Ainsi débute la 6e guerre de Religion qui se déroule principalement en Languedoc. La ville de Montpellier, prise par les protestants, voit sa citadelle rasée par les troupes catholiques. Le 17 septembre 1577, la paix de Bergerac est signée entre les belligérants et l’édit de Poitiers restreint quelque peu les libertés accordées aux protestants dans l’édit précédent.
Une puissance encore fragile
Henri III laisse à sa mère Catherine de Médicis le soin de parfaire la paix. Elle effectue un séjour à Nérac où elle réconcilie le couple Navarre et signe le 28 février 1579, un édit accordant aux protestants trois places de sûreté en Guyenne et onze places en Languedoc, pour une durée de six mois. Elle entame ensuite un grand tour du royaume de France.
Les efforts de la reine-mère n’empêchent pas la guerre de se rallumer très brièvement. En 1580, la 7e guerre de Religion appelée « guerre des Amoureux », éclate en France. Elle sera de très courte durée et le frère du roi François, duc d’Alençon et d’Anjou, négocie la paix du Fleix le 26 novembre 1580. Les négociateurs prévoient une trêve de six ans.
Toujours sur les conseils de sa mère, Henri III soutient les ambitions du duc d’Alençon aux Pays-Bas, tout en le désavouant devant l’ambassadeur espagnol. Conscient des fragilités du pays, le roi ne veut pas se risquer à un conflit ouvert avec l’Espagne. Ses relations avec Philippe II d’Espagne sont alors au plus bas. En 1582, la France soutient Antoine, prétendant au trône du Portugal, alors que Philippe II occupe le pays. Commandée par Philippe Strozzi, la flotte française est lourdement mise en échec à la bataille des Açores, permettant l’annexion de l’Empire portugais par l’Espagne. Les Français sont exécutés sans pitié et Strozzi trouve la mort.
La même année, les Français échouent également aux Pays-Bas avec la retraite désastreuse de François d’Anjou. Après la furie française d’Anvers, le prince français doit se retirer faute de moyens, ce qui amène les Espagnols à reprendre le contrôle de la Flandre, qu’ils avaient perdu. Devant la montée en puissance de l’Espagne, Henri III resserre plus que jamais l’alliance avec la reine Élisabeth Ire d’Angleterre et reçoit l’ordre de la Jarretière.
Sa façon de gouverner
Henri III est un chef d’État qui aime prendre connaissance des affaires du royaume et entend être au courant de tout. Dans son conseil, il s’entoure de juristes compétents, comme le comte de Cheverny ou Pomponne de Bellièvre.
À la cour, il aime promouvoir des hommes de noblesse moyenne, à qui il va donner de très hautes responsabilités, à l’image des ducs de Joyeuse et d’Épernon. Henri III veut s’appuyer sur ces hommes neufs, qui lui sont complètement dévoués, pour régner. De cette façon, Henri III marginalise les plus grandes familles nobles, qui pourraient constituer un obstacle au pouvoir royal. Sa cour voit donc apparaître des favoris qui connaissent, grâce au roi, une fortune fulgurante et qu’on va appeler vulgairement les mignons. Pour concrétiser ce projet il crée en 1578 l’ordre du Saint-Esprit, un ordre de chevalerie très prestigieux qui rassemble autour de la personne royale les gentilshommes les plus distingués de la haute société.
Franc d’Henri
III au col fraisé.
Le roi aime impressionner ses sujets et organise des fêtes somptueuses, comme celles données en l’honneur du duc de Joyeuse en 1581. À cette occasion, on joue à la cour le somptueux Ballet comique de la reine.
Le souverain offre également d’importantes sommes d’argent en récompense aux serviteurs les plus zélés. Toutes ces dépenses, fortement critiquées ne manquent pas d’approfondir la dette du Royaume mais, pour le roi, qui n’hésite pas à emprunter d’importantes sommes au Grand Prévôt Richelieu (père du cardinal de Richelieu) ou au financier Scipion Sardini, la restauration de la puissance royale demeure la priorité.
Par ailleurs, Henri III organise plusieurs réformes importantes, notamment des réformes monétaires devant régler les problèmes financiers du Royaume.
Le souverain rend également l’étiquette de la cour plus stricte, préfigurant ainsi celle de Versailles un siècle plus tard. Comme Louis XIV ultérieurement, Henri III cherche à mettre sa majesté en valeur. C’est ainsi qu’apparaissent les barrières qui empêchent les courtisans de s’approcher de la table et du lit royal21.
La Ligue
Henri
III agenouillé aux pieds du Christ en croix (vers 1580).
La paix relative accommodée pendant quelques années dans le Royaume se voit minée lorsque François, le frère du roi, meurt de tuberculose en 1584 sans enfant. Henri III lui-même ne parvient pas à en avoir. Enceinte au début de son mariage, la reine Louise n’a conçu que de faux espoirs. La dynastie des Valois est donc condamnée à s’éteindre. Selon la loi salique, l’héritage de la couronne reviendrait à la maison de Bourbon dont le chef, protestant, s’avère Henri, roi de Navarre. Pour les catholiques, l’accession au trône d’un huguenot demeure rédhibitoire ; même la réconciliation entre le roi de France et le roi de Navarre est inacceptable.
Le duc de Guise, craignant l’arrivée sur le trône d’Henri de Navarre, signe avec l’Espagne un traité secret. Contre 50 000 écus mensuels, le duc s’engage à empêcher Henri de devenir roi de France et à placer plutôt le cardinal de Bourbon, catholique, sur le trône.
Sous la pression de la Ligue et de son chef, le très populaire duc de Guise, Henri III se voit contraint de signer le traité de Nemours le 7 juillet 1585. Le roi s’y engage à « bouter les hérétiques hors du royaume » et à faire la guerre à Henri de Navarre, son propre héritier. La huitième et dernière guerre de Religion commence. On la nomme « guerre des Trois Henri », car Henri de Guise, Henri III de France, et Henri III de Navarre incarnent les trois belligérants.
En février 1587, Henri reçoit une lettre de Marie Stuart sur le point d’être exécutée par Élisabeth Ire, reine d’Angleterre. Quelque temps plus tard, la France rend hommage à son ancienne reine, Marie. En mars 1587, alors qu’il est en visite à Saint-Germain-en-Laye, Henri III manque de se faire enlever par la faction de la Ligue catholique et du roi d’Espagne. Cette conspiration bientôt découverte, échoue22,23.
Dernières années de règne
Le 20 octobre 1587, à la bataille de Coutras, les troupes catholiques du roi dirigées par le duc de Joyeuse se heurtent à celles d’Henri de Navarre, en route depuis La Rochelle pour rallier une armée de 35 000 huguenots qui doit marcher sur Paris. Pour l’armée catholique, la confrontation tourne à la catastrophe : 2 000 de ses soldats y périssent, alors qu’Henri de Navarre n’en perd que quarante. Le duc de Joyeuse est tué, ainsi que son frère Claude de Saint-Sauveur.
Les ambitions de la Ligue catholique et l’ampleur du mouvement qu’elle représente font ombrage au roi qui la prend en haine. Henri III tente par tous les moyens de freiner son expansion. Très vite, un fossé se creuse entre lui et les milieux catholiques urbains. Les catholiques lui reprochent son manque de vitalité et d’utilité dans la guerre contre les protestants. Henri III, en effet, se préoccupe davantage des ambitions de la Ligue que des protestants. L’image du roi, ridiculisé par les pamphlets de la Ligue et par les sermons des curés parisiens, se détériore considérablement dans les milieux populaires. Le 8 mai 1588, le duc de Guise, malgré l’interdiction qui lui en avait été faite, entre à Paris. Craignant une prise de pouvoir des ultra-catholiques, Henri III fait, le 12 mai, entrer les Suisses et les Gardes-Françaises dans la capitale, ce qui déclenche une insurrection25. C’est la journée des barricades. Le 13 mai 1588, le roi quitte Paris pour Chartres.
Le 1er août 1588, Catherine de Médicis et Henri de Guise se rendent à Chartres et demandent au roi de revenir à Paris. Il refuse. Dissimulant son intention de se débarrasser de la Ligue, il signe à Rouen l’édit d’union qui fait siennes les intentions de la Ligue. Dans le but d’obtenir des crédits pour poursuivre la guerre, il convoque les états généraux à Blois et congédie les membres de son conseil les plus fidèles, Bellièvre, Cheverny et Villeroy, même le duc d’Épernon, bête noire de la Ligue, est officiellement disgracié.
Croyant rétablir son autorité par un « coup de majesté », il fait assassinern 4 le duc de Guise le 23 décembre au matin et le lendemain, son frère le cardinal de Guise, jugé aussi dangereux que son frère, à coups de hallebarde. À Blois, il fait arrêter les ligueurs et les membres de la famille des Guise. Le 5 janvier 1589, il est au chevet de sa vieille mère qui meurt dans la nuit. L’assassinat du duc de Guise provoque le soulèvement immédiat de la France ligueuse. À Paris, la Sorbonne délie de son serment de fidélité le peuple de France, alors que les prêcheurs appellent au meurtre. Toutes les villes et les provinces suivent, à l’exception de Tours, Blois et Beaugency, proches du roi, et Bordeaux (tenue par Matignon), Angers (d’Aumont) et le Dauphiné (d’Ornano)26. Abandonnant Blois, le roi se réfugie à Tours le 6 mars 1589. Isolé, traqué par le duc de Mayenne près d’Amboise, Henri III se voit contraint de se réconcilier et de traiter avec le roi de Navarre le 3 avril 1589. Les deux hommes (Henri III et Henri de Navarre futur Henri IV) se rencontrent au Plessis-lèz-Tours le 30 avril 1589. Troupes royales et troupes protestantes s’unissent alors pour combattre la Ligue. Henri de Navarre s’étant porté sur Chinon, le chef de la Ligue Charles de Mayenne lance son offensive contre Tours le 8 mai 1589. Alors qu’il s’est rendu à l’abbaye de Marmoutier, sur la rive droite de la Loire, pour entendre la messe, Henri III manque d’être surpris par l’avant-garde ligueuse menée par le chevalier d’Aumale. Les assaillants donnent l’assaut contre le faubourg Saint-Symphorien, qui est sauvagement pillé. Dans les Îles de la Loire et sur le pont, l’engagement se montre d’une extrême violence. Bien que les royaux aient perdu deux fois plus d’hommes que les ligueurs, ils restent maîtres de la ville de Tours grâce aux renforts huguenots de François de Coligny (fils du fameux amiral Gaspard II de Coligny). Les royalistes se rallient peu à peu, et permettent aux rois de France et de Navarre de faire campagne pour aller assiéger Paris, plongé dans un délire fanatique27. Les deux rois ont réuni une armée de plus de 30 000 hommes qui s’apprête à assiéger la capitale. Le duc d’Épernon les rejoint avec un renfort de 15 000 hommes principalement composés de Suisses. Paris est alors défendue par 45 000 hommes de la milice bourgeoise, armée par le roi d’Espagne Philippe II.
Assassinat
Installé à Saint-Cloud dans l’attente du siège de Paris, ce 1er août 1589, vers huit heures du matin, Henri III accueille sur sa chaise percée28,n 5 le procureur général accompagné d’un moine dominicain ligueur, Jacques Clément, qui se dit porteur de nouvelles en provenance du Louvre. Devant l’insistance du religieux à vouloir parler en privé avec le souverain, Roger de Bellegarde, premier gentilhomme de la Chambre, laisse le moine s’approcher du roi. Selon les versions des chroniqueurs de l’époque, le roi reste sur sa chaise percée ou se lève pour s’entretenir dans l’embrasure d’une fenêtre29,30. Jacques Clément en profite pour frapper le roi au bas ventre avec le couteau qu’il tient dissimulé sous son habit. Henri III s’exclame : « Ah, mon Dieu ! », puis arrache le couteau de son intestin perforé et frappe son assaillant au visage en s’écriant : « Méchant, tu m’as tué ! »31. Ce sont deux soldats du régiment de Comblanc qui introduisirent Jacques Clément dans le camp d’Henri III32.
Au bruit, les gardes du roi, les fameux Quarante-cinq, accourent, transpercent le moine de leurs épées et le jettent par la fenêtre. Dans un premier temps, les médecins minimisent la gravité de la blessure, remettent les intestins en place et recousent la plaie. Henri III parvient à dicter des lettres aux villes qui lui obéissent afin de couper court aux rumeurs. À sa femme restée à Chenonceau, il affirme même que dans quelques jours, il pourra monter de nouveau à cheval. Toutefois, à l’occasion d’une visite de son cousin Henri de Navarre, le roi de France aurait harangué ses serviteurs de respecter les règles de passation de pouvoir en reconnaissant le roi de Navarre comme son successeur légitime33.
Cependant, le soir venu, la péritonite progresse et ses souffrances augmentent. Après une douloureuse agonie, il meurt le 2 août 1589 vers 3 heures du matin. Henri de Navarre lui succède sous le nom d’Henri IV.
Henri III est le dernier souverain de la maison capétienne de Valois, laquelle a régné sur la France de 1328 à 1589.
Le mystère Henri III
« Ce Roy étoit un bon prince, s’il eût rencontré un meilleur siècle. »34 Ce sont les mots utilisés par le chroniqueur Pierre de L’Estoile à la mort du roi pour rappeler qu’en dépit de sa personnalité particulière et de l’explosion de haine qu’il a pu susciter, Henri III avait démontré aussi ses qualités. Aujourd’hui encore, sa personnalité fait l’objet de discussions, notamment à propos de sa sexualité.
Sa personnalité
Henri
III met à la mode le port de la perle blanche en simple pendant d’oreille
35.
Henri III s’affirme comme un homme de contrastes, présentant plusieurs facettes. Fier, il se distingue par des manières distinguées et solennelles mais, homme extravagant, il prise les divertissements et les plaisirs. Sa personnalité s’avère complexe : une apparente douceur cache un esprit nerveux et inflexible.
Homme élégant, il incarne la grâce et la majesté d’un roi. Il apprécie la mode et ses extravagances (boucles d’oreilles et fraise imposante). Homme d’une grande douceur, abhorrant la violence, il évite toute confrontation belliqueuse et délaisse les activités physiques bien qu’il soit une des plus fines lames du Royaume. Son dégoût de la chasse et des activités guerrières, privilèges des nobles, et son goût pour la propreté et l’hygiène, lui valent des critiques acerbes de la part de ses contemporains qui le considèrent comme un roi efféminé.
Formé dans un milieu humaniste, le roi encourage le monde des lettres en protégeant des écrivains (Desportes, Montaigne, du Perron). Il s’adonne lui-même à la philosophie et, malgré son opposition politique aux protestants, il fait venir l’imprimeur Estienne à Paris.
Henri III préfère travailler dans son cabinet avec ses ministres plutôt que faire la guerre, d’autant plus que sa santé s’avère fragile. Il souffre de divers maux : gale, coliques néphrétiques, ophtalmies, fistules à l’oreille et au nez36. Cela ne l’empêche aucunement de faire plusieurs campagnes militaires et de rester ferme quand il donne l’ordre de tirer sur le prince de Condé à Jarnac. Homme d’une vive intelligence, il fait généralement preuve de mansuétude vis-à-vis de ses adversaires et des villes rebelles qu’il reconquiert. De même, il recherche toujours les solutions diplomatiques, ce qui lui vaut parfois quelques revers.
Homme pieux, profondément croyant, sa piété se développe encore avec l’âge. Les malheurs qui l’accablent à la fin de son règne exacerbent sa foi catholique ; ainsi, il s’adonne de manière ostentatoire aux processions des pénitents. Séduit par la piété des confréries de pénitents lorsqu’il séjourna en Avignon ; à son retour de Pologne en 1574, il institue le 20 mars 1583 la Confrérie des Pénitents blancs de l’Annonciation Notre-Dame dont il est un membre actif37. De nature nerveuse, le roi s’avère un grand malade. Il croit que ses maux, l’absence d’héritier, de même que les afflictions de son royaume sont causés par ses péchés. Il passe donc son temps à se mortifier dans des monastères où, pendant quelques jours, il prend une retraite spirituelle.
Ses maîtresses
Les contemporains d’Henri III nous ont décrit le roi comme un homme appréciant beaucoup les femmes. Si ses amantes sont assez peu connues, c’est qu’Henri III ne leur a jamais conféré le titre de maîtresse officielle.
Dans sa jeunesse, Henri III se fait remarquer par une fréquentation assidue des femmes, au point que sa réputation et sa santé en pâtissent38. En 1582, l’ambassadeur italien Lorenzo Priuli dit : « Le roi a aussi eu quelques maladies pour avoir fréquenté dans sa jeunesse trop familièrement les femmes39. » Michelet attribue la dégénérescence des trois derniers Valois à la syphilis de François Ier, Henri II ayant pu transmettre la bactérie tréponème pâle de cette maladie à son fils40.
Parmi ses maîtresses les plus célèbres figurent Louise de La Béraudière (de plus de vingt ans son aînée), Françoise Babou de la Bourdaisière (mère de Gabrielle d’Estrées) et Renée de Rieux, issues de la moyenne noblesse38. Il fréquente également lors de son périple italien qui le ramène de Pologne en juin 1574, Veronica Franco, une courtisane vénitienne fort renommée à l’époque. À la même date, il entretient aussi une relation platonique avec la princesse de Condé, Marie de Clèves, pour qui il éprouve une passion démesurée. Sa mort survenue brutalement en 1574 conduit le roi à prendre un deuil particulièrement ostensible qui étonne la cour.
Après son mariage avec Louise de Lorraine, les aventures d’Henri III paraissent plus discrètes. Par respect pour son épouse qu’il aime, il organise ses rendez-vous avec les dames galantes à l’écart du palais, dans des hôtels particuliers parisiens. Fait exceptionnel, Henri III a choisi Louise de Lorraine pour sa beauté et son esprit et non pas pour des raisons politiques, comme c’est le cas pour la plupart des mariages royaux. Louise de Lorraine tient une place très importante dans la vie sentimentale et spirituelle du roi. Un jour que Catherine de Médicis entre dans ses appartements sans se faire annoncer, elle la surprend en intimité sur les genoux de son mari41. Cette intimité quasi exceptionnelle du couple royal n’empêche toutefois pas le roi de poursuivre ses aventures furtives avec une multitude de jeunes filles belles et enjouées (mesdemoiselles d’Assy, de La Mirandole, de Pont, de Stavay, ou encore une des sœurs de Gabrielle d’Estrées42). Louise de Lorraine et Catherine de Médicis, toutes les deux fort pointilleuses sur la moralité à la cour, possèdent alors suffisamment d’influence sur le roi pour faire chasser ces maîtresses d’un jour.
Ses favoris
Longtemps, l’image véhiculée d’Henri III a été indissociable de celle de ses favoris plus couramment appelés mignons43, terme pourtant déjà en vogue au XVe siècle44. Au XIXe siècle, c’est un thème à la mode et plusieurs peintres et auteurs romantiques s’y sont essayés. Henri III est alors décrit de manière caricaturale, représenté en compagnie d’éphèbes efféminés, aux costumes excentriques et aux passe-temps frivoles comme le jeu du bilboquet.
En raison des nombreux témoignages sur le côté entreprenant d’Henri III auprès des femmes, l’image longtemps répandue de l’homosexualité stricte du roi a été remise en cause par des historiensn 6. Une source importante qui évoque des aventures masculines s’avère une source partisane, celle du diplomate savoyard Lucinge. Cet ennemi de la France, et par conséquent peut-être non retenu par un devoir de réserve ou par la flatterie, écrit que le roi a été initié aux amours masculines par René de Villequiern 7. Les autres textes allusifs à l’homosexualité sont issus des pamphlets rédigés par des ligueurs radicaux, des calvinistes intransigeants ou encore par des membres du parti des Malcontents dans l’entourage du frère du roi François d’Alençon ayant perdu la faveur royale46 qui promeut alors des hommes nouveaux appartenant à la « noblesse seconde »47 du Royaume dans l’entourage du dernier Valois. Le raffinement des costumes, les nouvelles pratiques de cour, l’accès plus restreint au roi constituent autant d’éléments qui irritent la haute-noblesse traditionnelle et remettent en cause le mode de gouvernementalité prévalant jusqu’au milieu du XVIe siècle selon lequel le roi gouverne par conseil de sa noblesse. Les écrivains comme L’Estoile ou Brantôme, pourtant connus pour leurs informations scabreuses, n’accordent aucun crédit à ces rumeurs et mettent en exergue, quant à eux, la passion du roi pour les femmes. En revanche, D’Aubigné, calviniste forcené, et Ronsard, proche du duc d’Alençon, n’hésitent pas nombre de fois dans des vers à brocarder le roi sur le sujet :
« Le roi comme l’on dit, accole, baise et lèche
De ses poupins mignons le teint frais, nuit et jour ;
Eux pour avoir argent, lui prêtent tour à tour
Leurs fessiers rebondis et endurent la brèche. »48
L’ambiguïté de l’image d’Henri III trouve peut-être également son explication dans la propagande, particulièrement violente, suscitée contre lui par la Ligue. L’appel au soulèvement s’accompagne dans les derniers mois de son règne d’une violente vague de calomnies destinées à pervertir l’image du roi dans l’esprit des Français. Le changement de dynastie n’a pas vraiment permis d’établir le portrait le plus impartial de ce roi attaqué et l’image trouble d’Henri III a continué de se perpétuer. En dépit des efforts de sa veuve, la reine Louise et de sa demi-sœur, la duchesse d’Angoulême pour obtenir un soutien en faveur du défunt roi, ni Henri IV, trop soucieux de ménager les Guisen 8, ni l’Église n’ont examiné objectivement la vie privée de ce roi, ni cherché même à punir les coupables de son assassinat.
En l’état actuel des recherches, on ne peut trancher sur la nature exacte de la sexualité d’Henri III (hétérosexuel, homosexuel ou bisexuel). Les perceptions contradictoires quant à la sexualité d’Henri III se retrouvent dans les œuvres de fiction : si, dans le roman La Reine Margot d’Alexandre Dumas, le prince est décrit comme hétérosexuel, l’adaptation cinématographique du roman réalisée en 1954 par Jean Dréville le représente, sous les traits de Daniel Ceccaldi, comme un homosexuel efféminé, tandis que la version suivante, réalisée en 1994 par Patrice Chéreau et où il est interprété par Pascal Greggory, en fait un pervers décadent, avant tout homosexuel mais également attiré par les femmes (en l’occurrence par sa sœur Marguerite).
Titulature complète
Armoiries
-
Armoiries comme fils de France (1551-1559).
-
Armoiries comme fils de France (1559-1573).
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Armoiries comme roi de Pologne (1573-1574).
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Armoiries comme roi de France (1574-1589).
Ascendance
Notes et références
Notes
- En 1596, la reine Louise et Diane de France s’opposèrent avec le parlement de Paris, à l’absolution du duc de Mayenne, ce qui provoqua la colère du roi. Le roi avait racheté le retour des Guise en leur accordant des sommes financières considérables49,50.
Références
Annexes
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Sources primaires imprimées
- Lettres d’Henri III, roi de France, recueillies par Pierre Champion, publiées avec des compléments, une introduction et des notes pour la Société de l’Histoire de France (Legs Pierre Champion) par Michel François.
- Tome I, 1557 – août 1574, Paris, Librairie C. Klincksieck, 1959, 386 p., [présentation en ligne [archive]].
- Tome II, 1er septembre 1574 – 6 août 1576, Paris, Librairie C. Klincksieck, 1965, [présentation en ligne [archive]].
- Tome III, 6 août 1576 – 10 mai 1578 et addenda, Paris, Librairie C. Klincksieck, 1972, 536 p.
- Tome IV, 11 mai 1578 – 7 avril 1580, avec la collaboration de Bernard Barbiche et Henri Zuber, Paris, Librairie C. Klincksieck, 1984, 376 p.
- Tome V, 8 avril 1580 – 31 décembre 1582, édition établie par Jacqueline Boucher, Paris, Honoré Champion, 2000, [présentation en ligne [archive]].
- Tome VI, 4 janvier 1583 – 20 mars 1585, édition établie par Jacqueline Boucher, Genève, Droz, 2006, [présentation en ligne [archive]].
- Pierre de L’Estoile, Registre-journal du règne d’Henri III, édition établie par Madeleine Lazard et Gilbert Schrenck, Genève, Droz, coll. « Textes littéraires français », 1992-2003, 6 volumes.
- René de Lucinge, sieur des Allymes, Lettres sur la cour d’Henri III en 1586, texte établi et annoté par Alain Dufour, Genève, Droz / Paris, Minard, , coll. « Textes littéraires français », 1966, 340 p. [présentation en ligne [archive]].
- Pierre du Marteau (1666) « Recueil de diverses pièces servant a l’histoire de Henry III., Roy de France et de Pologne [archive] », augmente en cette nouvelle édition. Cologne (numérisé par Google).
- Jacqueline Vons (éd.), « Rapport d’autopsie du roi Henri III par le chirurgien Jacques Guillemeau », extrait de : Jacques Guillemeau, Les Œuvres De Chirurgie, Rouen, 1649, chez Jean Viret, François Vaultier, Clement Malassis et Jacques Besonge [De l’imprimerie de Pierre Maille], p. 857 [lire en ligne [archive]].
Bibliographie
Biographies
- Pierre Champion, La jeunesse d’Henri III : une âme ardente et vive (1551-1571), vol. 1, Paris, Bernard Grasset, 1941, 335 p.
- Pierre Champion, La jeunesse d’Henri III : la victoire de Paris et l’échec devant La Rochelle, 1571-1574, vol. 2, Paris, Bernard Grasset, 1942, 335 p.
- Pierre Champion, Henri III, roi de Pologne (1573-1574), Paris, Bernard Grasset, 1943, 323 p. (présentation en ligne [archive]).
- Pierre Champion (préf. Michel François), Henri III, roi de Pologne : IV. Un séjour à Vienne, voyage en Italie et retour en France, 1574-1575, Paris, Bernard Grasset, 1951, 278 p. (présentation en ligne [archive]).
- Pierre Chevallier, Henri III : roi shakespearien, Paris, Fayard, 1985, 751 p. (ISBN 2-213-01583-X, présentation en ligne [archive]).
- Jean-François Solnon, Henri III : un désir de majesté, Paris, Perrin, 2001, 437 p. (ISBN 2-262-01317-9).
- Michel Pernot, Henri III : le roi décrié, Paris, De Fallois, 2003, 795 p. (ISBN 978-2-253-18624-3)
Études d’ensemble
- Arlette Jouanna, Jacqueline Boucher, Dominique Biloghi et Guy Le Thiec, Histoire et dictionnaire des guerres de religion, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1998, 1526 p. (ISBN 2-221-07425-4, présentation en ligne [archive]).
- Nicolas Le Roux, Les guerres de religion : 1559-1629, Paris, Belin, coll. « Histoire de France » (no 6), 2009, 607 p. (ISBN 978-2-7011-3363-8 et 2701133637, OCLC 495304986, présentation en ligne [archive]).
Études portant sur des aspects particuliers du règne
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- Xavier Le Person, « Les « practiques » du secret au temps de Henri III », Rives méditerranéennes, no 17, 2004, p. 349-365 (lire en ligne [archive]).
- Nicolas Le Roux, « Courtisans et favoris : l’entourage du prince et les mécanismes du pouvoir dans la France des guerres de religion », Histoire, économie et société, Paris, CDU Sedes, no 3 (17e année) « L’État comme fonctionnement socio-symbolique (1547-1635) », 1998, p. 377-387 (lire en ligne [archive]).
- Nicolas Le Roux, La faveur du Roi : mignons et courtisans au temps des derniers Valois, Seyssel, Champ Vallon, coll. « Époques », 2001, 805 p. (ISBN 2-87673-311-0, présentation en ligne [archive]), [présentation en ligne [archive]].
Réédition : Nicolas Le Roux,
La faveur du Roi : mignons et courtisans au temps des derniers Valois, Seyssel, Champ Vallon,
coll. « Les classiques de Champ Vallon », 2013,
2e éd. (
1re éd. 2001), 805
p. (ISBN 978-2-87673-907-9, présentation en ligne [archive]).
- Nicolas Le Roux, « La cour dans l’espace du palais : l’exemple de Henri III », dans Marie-France Auzépy et Joël Cornette (dir.), Palais et pouvoir, de Constantinople à Versailles, Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, coll. « Temps & espaces », 2003, 370 p. (ISBN 2-84292-131-3, lire en ligne [archive]), p. 229-267.
- Nicolas Le Roux, Un régicide au nom de Dieu : l’assassinat d’Henri III, 1er août 1589, Paris, Gallimard, coll. « Les journées qui ont fait la France », 2006, 451 p. (ISBN 2-07-073529-X, présentation en ligne [archive]).
- Nicolas Le Roux, « Le glaive et la chair : le pouvoir et son incarnation au temps des derniers Valois », Chrétiens et sociétés, XVIe – XXIe siècles, no 2 hors-série « La vocation du Prince », 2013, p. 61-83 (DOI 10.4000/chretienssocietes.3453, lire en ligne [archive]).
- Mary L. Levkoff, « L’art cérémonial de l’Ordre du Saint-Esprit sous Henri III », Bulletin de la Société de l’Histoire de l’art français, Paris, Société de l’Histoire de l’art français « Année 1987 », 1989, p. 7-23.
- Teresa Malinowski, « Peurs, rumeurs et calomnies en politique : le cas de l’élection et du court règne d’Henri de Valois en Pologne », dans Monique Cottret et Caroline Galland (dir.), Peurs, rumeurs et calomnies, Saint-Denis, Kimé, coll. « Le sens de l’histoire », 2017, 450 p. (ISBN 978-2-84174-781-8, présentation en ligne [archive]), p. 61-78.
- Guy Poirier, « Le retour de Pologne d’Henri III : images alexandrines du roi au Bucentaure », Renaissance and Reformation / Renaissance et Réforme, vol. 21, no 4, automne 1997, p. 41-55 (JSTOR 43445152).
- Guy Poirier, Henri III de France en mascarades imaginaires : mœurs, humeur et comportements d’un roi de la Renaissance, Québec, Presses de l’Université Laval, 2010, 217 p. (ISBN 978-2-7637-8924-8, présentation en ligne [archive]).
- Guy Poirier, « Le témoignage dans les libelles et les pamphlets politiques contre Henri III », dans Luc Vaillancourt (dir.), « Des bruits courent » : rumeurs et propagande au temps des Valois, Paris, Hermann, coll. « Les collections de la république des Lettres. Symposiums », 2017, 264 p. (ISBN 978-2-7056-9408-1), p. 235-247.
- Robert Sauzet (dir.), Henri III et son temps : actes du Colloque international du Centre de la Renaissance de Tours, octobre 1989, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, coll. « De Pétrarque à Descartes » (no 56), 1992, 332 p. (ISBN 2-7116-1065-9).
- (en) Michael Wolfe, « The strange afterlife of Henri III: dynastic distortions in early Bourbon France », Renaissance Studies, vol. 10, no 4, décembre 1996, p. 474-489 (JSTOR 24412307).
- Luc Vaillancourt, « La correspondance d’Henri III, ou comment « remettre et restablir toutes choses en bon estat et les y maintenir » », dans Luc Vaillancourt (dir.), « Des bruits courent » : rumeurs et propagande au temps des Valois, Paris, Hermann, coll. « Les collections de la république des Lettres. Symposiums », 2017, 264 p. (ISBN 978-2-7056-9408-1), p. 249-262.
Personnalités du règne d’Henri III (1574-1589)
Henri
III peint par
Nicholas Hilliard, vers 1576, aquarelle sur parchemin monté sur carton, collection Djanogly.
La famille :
Les Grands :
- Charles, cardinal de Bourbon
- Louis, cardinal de Guise
- Louis, duc de Montpensier
- Henri Ier, prince de Condé
- Henri, duc de Montmorency
- Louis, duc de Nevers
- Henri Ier, duc de Guise
- Charles, duc de Mayenne
- Charles, duc d’Aumale
- Charles, duc d’Elbeuf
- Philippe-Emmanuel, duc de Mercœur
|
Les proches :
Les conseillers et serviteurs de l’État :
Les hommes de loi :
|
Les financiers :
Les hommes des arts et des lettres :
Les ennemis :
|
Dans les arts
Théâtre
Opéra
Cinéma et télévision
- L’Assassinat du duc de Guise, film français réalisé en 1897.
- L’Assassinat du duc de Guise (1908), film français réalisé par André Calmettes. Rôle interprété par Charles Le Bargy.
- L’Assassinat d’Henri III (1912), film français réalisé par Henri Desfontaines.
- La Reine Margot (1954), film français réalisé par Jean Dréville. Rôle interprété par Daniel Ceccaldi. Ceccaldi incarne un prince outrageusement efféminé et maniéré, dans la veine comique. Également dépeint comme un comploteur brouillon ligué avec Henri de Navarre, le personnage du duc d’Anjou reprend ainsi des traits et caractères propres à François, duc d’Alençon (personnage absent de cette version cinématographique mais tenant un rôle plus important que celui de son frère aîné dans le roman d’Alexandre Dumas).
- Si Paris nous était conté (film, 1955), film français réalisé par Sacha Guitry qui relate les grandes pages de l’Histoire de France. Une scène est consacrée à l’assassinat du roi Henri III (interprété par Jean Weber) par le moine Jacques Clément.
- La Dame de Monsoreau (1971), feuilleton télévisé français réalisé par Yannick Andréi. Rôle interprété par Denis Manuel. Dans cette adaptation du roman d’Alexandre Dumas, Manuel interprète un roi intelligent, conscient de ses devoirs et soucieux de la dignité de sa charge bien que velléitaire et prompt au découragement face aux cabales des Guises et de son frère cadet François, duc d’Alençon. Confronté à cette succession de complots et de crises politiques, Henri III préfère se reposer entièrement sur son bouffon et confident Chicot ainsi que sur sa mère, Catherine de Médicis. Quant aux supposées tendances homosexuelles et possessives du roi vis-à-vis de ses mignons, elles sont illustrées par une scène où il surprend les époux Saint-Luc au lit, ce qui vaut sa disgrâce à François d’Espinay. Ce dernier se réfugie en Anjou dont le gouverneur, Louis de Bussy d’Amboise (Nicolas Silberg) se moque du souverain en évoquant le choc occasionné par cette liaison hétérosexuelle.
- La Guerre des trois Henri, (1978), téléfilm français réalisé par Marcel Cravenne dans la série Les Grandes conjurations. Rôle interprété par Jacques Rosny.
- Catherine de Médicis, (1989), téléfilm français réalisé par Yves-André Hubert, d’après une biographie du romancier Jean Orieux. Rôle interprété par Jean Dalric.
- La Reine Margot (1994), film français réalisé par Patrice Chéreau. Rôle interprété par Pascal Greggory.
- Elizabeth (1998), film britannique réalisé par Shekhar Kapur. Rôle interprété par Vincent Cassel. Alors duc d’Anjou, Henri est l’un des prétendants à la main de la reine d’Angleterre (Cate Blanchett). Cependant, à l’opposé du viril duc de Foix (personnage interprété significativement par Éric Cantona), le prince Valois n’est qu’un personnage maniéré et sans-gêne ; son goût pour le travestissement finit d’ailleurs par détourner Élisabeth Ire de son projet d’alliance matrimoniale. Par ce portrait de prétendant falot, le film contribue à l’idéalisation de son héroïne en dédouanant la « reine vierge » de la responsabilité de la rupture. En réalité, Henri et Élisabeth ne se sont jamais rencontrés ; c’est le frère cadet d’Henri, François, qui débarqua en Angleterre en tant que prétendant de la reine. De même, ni Henri, ni François ne séjournèrent en Écosse afin d’y rencontrer Marie de Guise (jouée par Fanny Ardant), décédée plusieurs années avant le début des négociations matrimoniales.
- La Courtisane (1998), film américain réalisé par Marshall Herskovitz. Rôle interprété par Jake Weber.
- La Dame de Monsoreau (2008), téléfilm français réalisé par Michel Hassan d’après l’œuvre d’Alexandre Dumas père, France 2. Rôle interprété par Patrick Fierry.
- La Princesse de Montpensier (2010), film français réalisé par Bertrand Tavernier, d’après la nouvelle éponyme de Madame de La Fayette. Le duc Henri d’Anjou, futur Henri III, y est interprété par Raphaël Personnaz.
- L’émission Secrets d’Histoire sur France 2 du 19 janvier 2016, intitulée Et si Henri III n’était pas mignon ?, lui était consacrée : — Dominique Bonnet, « Le roi des Mignons fut très amoureux de sa femme », Paris Match, 19 janvier 2016 (lire en ligne [archive]).
Littérature
Henri III apparaît d’abord comme duc d’Anjou, puis comme roi de Pologne, et enfin comme roi de France dans la série de romans historiques d’Alexandre Dumas que forment La Reine Margot (1845), La Dame de Monsoreau (1846) et Les Quarante-cinq (1847).
Il apparaît également dans certains volumes de Fortune de France de Robert Merle dont Le Prince que voilà, ainsi que dans le roman Charly 9 de Jean Teulé et dans le roman La Saga des Bourbons : Henry, roi de Navarre, de Louis-Gilles Pairault (La Geste, 2018, 372 p., présentation en ligne [archive]).
Articles connexes
Liens externes
https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_V_le_Sage
Charles V le Sage
Charles V1, dit « le Sage », né le 21 janvier 1338 à Vincennes et mort le 16 septembre 1380 au château de Beauté, est un roi de France de 1364 à 1380. Son règne marque la fin de la première partie de la guerre de Cent Ans : il réussit à récupérer la quasi-totalité des terres perdues par ses prédécesseurs, restaure l’autorité du pouvoir royal et sort le Royaume d’une période difficile qui associe les défaites militaires lourdes de Crécy et Poitiers (1346 et 1356) à la grande peste noire des années 1347-1351.
Il est très instruit et il est connu pour avoir fondé la première librairie royale, ancêtre de la Bibliothèque nationale de France.
Il est, un temps, proche du mouvement réformateur de l’État. En 1357, il se retrouve à la tête d’une monarchie contrôlée, alors que son père Jean le Bon est prisonnier des Anglais. Bien que confronté aux ambitions de Charles de Navarre et aux manœuvres d’Étienne Marcel, il sauve la couronne des Valois alors que le pays sombre dans la guerre civile. Sacré en 13642, il restaure l’autorité royale en la fondant sur l’État de droit et en poursuivant la politique de monnaie forte instaurée par les conseillers de son père. Ce faisant, un parallèle s’établit entre son règne et celui de Saint Louis, référence du bon gouvernement pour l’époque.
Il formalise la décentralisation du pouvoir par la politique des apanages qu’il contrôle en les finançant grâce à l’instauration d’impôts durables. Ces nouvelles ressources lui permettent de doter la France d’une armée permanente qui, associée aux armées de ses frères, permet de se débarrasser des Grandes Compagnies qui ruinent le pays, puis de vaincre les Anglais. Cette victoire est aussi acquise par les succès diplomatiques qu’il obtient en retournant les vassaux gascons favorables à l’Angleterre et en isolant celle-ci du reste de l’Europe. Cette reconquête s’effectue en grande partie en encourageant le sentiment national naissant, transformant les Anglais en envahisseurs.
Son règne est enfin marqué par le grand schisme d’Occident, qu’il n’a pas pu ou voulu empêcher.
Biographie
Enfance
Petite enfance
Charles naît à Vincennes le 21 janvier 13383. Il est éduqué à la cour avec d’autres enfants de son âge dont il restera proche : Philippe d’Orléans son oncle, ses trois frères Louis, Jean et Philippe, Louis de Bourbon, Édouard et Robert de Bar, Godefroy de Brabant, Louis d’Étampes, Louis d’Évreux (frère de Charles le Mauvais), Jean et Charles d’Artois, Charles d’Alençon et Philippe de Rouvre4.
Son précepteur est probablement Sylvestre de La Cervelle5, qui lui enseigne le latin et la grammaire. Sa mère et sa grand-mère paternelle meurent de la peste en 1349, alors qu’il vient de quitter la cour pour se rendre dans son apanage du Dauphiné. Son grand-père, Philippe VI, meurt peu après en 13506.
Premier dauphin de la maison de France
Charles
V et Jeanne de Bourbon,
Paris,
musée du Louvre. Provenant probablement des décors extérieurs du Louvre, ces sculptures furent restaurées au
XIXe siècle par
Alexandre Lenoir en
Louis IX et Marguerite de Provence, ce qui explique la présence d’une maquette de la Sainte-Chapelle de Paris dans la main gauche du roi.
Le comte Humbert II, ruiné du fait de son incapacité à lever l’impôt7 à la suite d’une croisade à Smyrne et sans héritier après la mort de son fils unique, vend le Dauphiné8, terre du Saint-Empire romain germanique. Ni le pape ni l’empereur ne se portant acquéreurs, l’affaire est conclue avec Philippe VI.
Selon le traité de Romans, le Dauphiné de Viennois doit revenir à un fils du futur roi Jean le Bon. Charles, fils aîné de ce dernier, devient ainsi le premier dauphin. Âgé de douze ans, il est immédiatement confronté à l’exercice du pouvoir lorsqu’il séjourne du 10 décembre 1349 à mars 1350 à Grenoble. Quelques jours après son arrivée, la population de Grenoble est conviée sur la place Notre-Dame, où une estrade est dressée. Placé à côté de l’évêque Jean de Chissé, Charles y reçoit le serment de fidélité des habitants. En échange, il leur promet publiquement de respecter la charte communale et confirme les libertés et franchises qu’Humbert II avait résumées dans un statut solennel avant de signer son abdication. Il accorde enfin une amnistie à tous les condamnés, exception faite de ceux qui encourent la peine capitale9.
Le 8 avril 1350 à Tain-l’Hermitage, le dauphin épouse sa cousine Jeanne de Bourbon. L’accord préalable du pape a été obtenu pour ce mariage consanguin10 (Charles n’était autre que le petit-cousin de Jeanne) qui est probablement à l’origine [réf. souhaitée]des troubles psychiatriques [réf. souhaitée]de Charles VI et de la fragilité des autres enfants de Charles V. Le mariage fut retardé par la mort de sa mère Bonne de Luxembourg et de sa grand-mère Jeanne de Bourgogne, emportées par la peste (il ne les a plus vues depuis qu’il est parti pour le Dauphiné)11. Le dauphin a lui-même été gravement malade d’août à décembre 134911. Les rassemblements étant limités pour ralentir la diffusion de la peste qui sévissait alors dans toute l’Europe, le mariage a lieu dans l’intimité10.
Le contrôle du Dauphiné est précieux pour le royaume de France, car la région occupe la vallée du Rhône, un axe commercial majeur entre Méditerranée et Nord de l’Europe depuis l’Antiquité, les mettant en contact direct avec Avignon, ville pontificale et centre diplomatique incontournable de l’Europe médiévale. En dépit de son jeune âge, le dauphin s’applique à se faire reconnaître par ses sujets, intercède pour faire cesser la guerre qui sévit entre deux familles de vassaux10. Il acquiert ainsi une expérience qui lui sera fort utile.
Rapprochement avec le parti réformateur
Mission en Normandie
Jean
II adoubant des
chevaliers, miniature d’un manuscrit des
Chroniques de Saint-Denis,
XVe siècle, BNF.
Charles, rappelé à Paris à la mort de son grand-père Philippe VI, participe, le 26 septembre 1350 à Reims, au sacre de son père Jean le Bon, qui le fait chevalier de l’ordre de l’Étoile12. La légitimité de Jean le Bon, et celle des Valois en général, ne fait pas alors l’unanimité. Le père de celui-ci, Philippe VI, surnommé par certains le « roi trouvé », avait perdu toute crédibilité avec les désastres de Crécy, de Calais, les ravages de la peste et les mutations monétaires nécessaires pour soutenir les finances royales. Le clan royal doit donc faire face à une opposition émanant de toutes parts dans le Royaume.
La première d’entre elles est menée par Charles II de Navarre dit « le Mauvais », dont la mère Jeanne avait renoncé en 1328 à la couronne de France contre celle de Navarre. Charles II de Navarre est l’aîné d’une puissante lignée. Ambitieux, il parvient à cristalliser autour de lui les mécontents des règnes des premiers Valois. Il est soutenu dans cette cause par ses proches et leurs alliés : la famille de Boulogne (le comte, le cardinal, leurs deux frères et leur parenté d’Auvergne), les barons champenois fidèles à Jeanne II de Navarre (la mère de Charles le Mauvais et petite-fille de la dernière comtesse de Champagne)13 et par les fidèles de Robert d’Artois, chassé du royaume par Philippe VI. Il dispose par ailleurs de l’appui de la puissante université de Paris et des marchands du Nord-Ouest pour lesquels le commerce trans-Manche est vital14.
La
Charte aux Normands de 1315, confirmée en 1339 par Philippe
VI, garantit une large autonomie à la Normandie.
Grand Coutumier de Normandie,
XIVe siècle,
Petit Palais.
La Normandie pose un problème au clan royal. Le duché dépend autant économiquement des échanges maritimes à travers la Manche que de ceux par transport fluvial sur la Seine. La Normandie et l’Angleterre ne sont plus unies depuis 1204, mais les propriétaires fonciers (nobles et clergé) ont des terres de part et d’autre de la Manche (depuis la conquête normande de l’Angleterre, puis par le jeu successif des alliances matrimoniales)15. Dès lors, se ranger officiellement derrière l’un ou l’autre souverain pourrait entraîner une confiscation d’une partie de leurs terres ; c’est pourquoi la noblesse normande se regroupe en clans solidaires qui lui permettent de faire front. Ainsi obtient-elle des chartes garantissant au duché une grande autonomie. Raoul de Brienne est un exemple significatif : il mène une politique étrangère indépendante, et s’il commande l’armée française envoyée en Écosse en 1335, c’est en tant que capitaine général engagé par contrat et non comme l’obligé du roi.
Toutefois, la noblesse normande n’est pas, et ce depuis longue date, indemne de divisions ; les comtes de Tancarville et d’Harcourt se livrent à une guerre sans merci depuis plusieurs générations16. Pour avoir l’appui d’une partie des barons normands, les rois de France soutiennent les comtes de Tancarville, auxquels ils ont confié la charge de chambellan de l’Échiquier de Normandie. Cette cour, qui rend justice de manière indépendante, est une charge de grande importance et revient pratiquement à celle exercée par un duc de Normandie. Cependant, afin d’éviter toute éventuelle allégeance de seigneurs normands à Édouard III qui, lors de la déclaration de guerre, a fait valoir ses droits à la couronne de France, Philippe VI a été contraint de composer avec le clan des d’Harcourt17. Il nomme ainsi Godefroy de Harcourt, capitaine souverain en Normandie18. Logiquement, Jean le Bon, quand il était duc de Normandie, a lié des liens étroits avec les Tancarville, qui représentent le clan loyaliste. Or, le vicomte Jean de Melun a épousé Jeanne, la seule héritière du comté de Tancarville19. Par la suite, ce sont les Melun-Tancarville qui forment l’ossature du parti de Jean le Bon, alors que Godefroy de Harcourt est le défenseur historique des libertés normandes et donc du parti réformateur. Le rapprochement entre ce dernier et Charles de Navarre, celui-ci se posant en champion des réformateurs, va de soi20,21.
Le 19 novembre 1350, Jean le Bon, à peine sacré roi de France, fait arrêter puis exécuter Raoul de Brienne, comte de Guînes et connétable de France. Il semble que celui-ci devait rendre hommage à Édouard III, ce qui aurait été catastrophique pour le nouveau roi car aurait ouvert la porte à d’autres défections vers le camp anglais22. Pour éviter ces défections éventuelles, l’affaire est réglée dans le secret. Or, l’opacité totale qui entoure cette exécution a un effet complètement contre-productif et alimente les rumeurs. Une grande partie de la noblesse normande et les nombreux soutiens du connétable se rallient au camp navarrais23 : les seigneurs normands et la noblesse du Nord-Ouest (de Picardie, d’Artois, du Vermandois, du Beauvaisis et de Flandre dont l’économie dépend des importations de laine anglaise), ainsi que les frères de Picquigny, fidèles alliés du connétable13. Au lendemain de la mort de ce dernier, Charles le Mauvais écrit au duc de Lancastre, fils d’Édouard III : « Tous les nobles de Normandie sont passés avec moi à mort à vie »13.
Brillant orateur et habitué à la monarchie contrôlée par sa fréquentation des cortes navarraises (l’équivalent des états généraux), Charles le Mauvais se fait le champion de la réforme d’un État jugé trop arbitraire, ne laissant plus voix ni à la noblesse ni aux villes (Jean le Bon gouverne avec un cercle de favoris et d’officiers d’ascendance parfois roturière). À l’inverse de son père, Charles V ne considère pas le pouvoir du roi comme légitime, mais relevant de l’acquis ; il doit, selon lui, s’obtenir grâce à l’approbation de ses sujets et nécessite une grande capacité d’écoute. Cette vision des choses lui permet de se rapprocher des nobles normands et du courant réformateur, et donc de Charles de Navarre.
Royaume de France en 1350
- Possessions de Charles de Navarre
- États pontificaux
- Territoires contrôlés par Édouard III
- Zone d’influence économique anglaise
- Zone d’influence culturelle française
La puissance du Navarrais est telle que, le 8 janvier 1354, il fait assassiner en toute impunité son rival Charles de la Cerda (le favori du roi), assumant ouvertement ce crime. Il obtient même, lors du traité de Mantes, des concessions territoriales et de souveraineté grâce à la menace d’une alliance avec les Anglais. Mais à Avignon, Français et Anglais négocient une paix qui empêcherait Charles de Navarre de compter sur le soutien d’Édouard III et l’éloignerait définitivement du pouvoir ; il conclut donc avec les Anglais un traité au terme duquel le royaume de France serait tout simplement partagé24,25. Un débarquement anglais est prévu pour la fin de la trêve qui expire le 24 juin 135525.
Le roi Jean missionne le dauphin en mars 1355 pour organiser la défense de la Normandie, ce qui passe par la levée de l’impôt nécessaire26. La tâche est difficile du fait de l’influence grandissante de Charles le Mauvais qui, en vertu du traité de Mantes, a un statut proche de celui de « duc » et, susceptible de s’allier à Édouard III, peut à tout moment ouvrir les portes de la Normandie à l’Anglais27. Le dauphin sait se faire accepter. Les Normands rechignent d’autant plus à faire rentrer les taxes que les Navarrais les y encouragent, mais l’argent récolté est redistribué aux seigneurs qui ont bien voulu consentir à tailler leurs sujets. Il reste peu de finances pour équiper des hommes d’armes, mais le dauphin y gagne des sympathies. Ses capacités d’écoute lui permettent d’éviter la guerre en obtenant en juin une réconciliation entre le Navarrais et le roi qui est scellée par une cérémonie à la cour le 24 septembre 135526. Édouard III prend ombrage du nouveau revirement de Charles de Navarre (il se méfie désormais de ce concurrent à la couronne de France trop gourmand et trop retors) : le débarquement promis n’a pas lieu25.
La tentative de fugue
L’oncle du dauphin et empereur Charles IV, subissant une offensive diplomatique de la part des Anglais, et inquiété par l’influence grandissante des Français sur l’Ouest de l’Empire (la Bourgogne, le Dauphiné et de nombreuses places fortes sont contrôlés par les Français), menace de renégocier son alliance avec son beau-frère Jean le Bon et émancipe le duc de Bourgogne pour ses possessions en terre d’Empire (du fait de son jeune âge, ses terres sont gérées par son beau-père, le roi de France)28. Le roi fait montre d’intransigeance et la tension monte. Charles, qui est très proche de son oncle et risque d’y perdre le Dauphiné, est opposé à la façon de procéder de son père. Monté contre lui par Robert Le Coq (l’un des plus fervents Navarrais, jouant double jeu auprès de Jean le Bon) qui ne cesse de lui assurer que son père cherche à l’évincer du pouvoir, il organise avec le concours du parti navarrais une fugue visant à rencontrer l’empereur, lui prêter l’hommage et apaiser les tensions23. Elle doit avoir lieu en décembre 1355. Le roi, mis au courant du complot par Robert de Lorris, convoque son fils et lui confie la Normandie en apanage pour le rassurer sur ses sentiments envers lui et contrer le travail de sape des Navarrais29.
Duc de Normandie
Le 7 décembre 1355, Charles devient ainsi duc de Normandie. Mais Jean le Bon, averti du complot de partage du pays ourdi par Charles le Mauvais et les Anglais à Avignon, se décide à mettre le Navarrais hors d’état de nuire.
Le 5 avril 1356, le dauphin Charles convie en son château de Rouen toute la noblesse de la province, à commencer par le comte d’Évreux, Charles le Mauvais, pour fêter son intronisation en Normandie. La fête bat son plein lorsque surgit Jean II le Bon, coiffé d’un bassinet et l’épée à la main, qui vient se saisir de Charles le Mauvais en hurlant : « Que nul ne bouge s’il ne veut être mort de cette épée ! »30. À ses côtés, son frère Philippe d’Orléans, son fils cadet Louis d’Anjou et ses cousins d’Artois forment une escorte menaçante. À l’extérieur, une centaine de cavaliers en armes tiennent le château30. Le roi se dirige vers la table d’honneur, agrippe le roi de Navarre par le cou et l’arrache violemment de son siège en hurlant : « Traître, tu n’es pas digne de t’asseoir à la table de mon fils ! ». Colin Doublet, écuyer de Charles le Mauvais, tire alors son couteau pour protéger son maître, et menace le souverain. Il est aussitôt appréhendé par l’escorte royale qui s’empare également du Navarrais30. Excédé par les complots de son cousin avec les Anglais, le roi laisse éclater sa colère qui couve depuis la mort, en janvier 1354, de son favori le connétable Charles d’Espagne.
Malgré les supplications de son fils qui, à genoux, implore de ne pas le déshonorer, le roi se tourne vers Jean d’Harcourt, infatigable défenseur des libertés provinciales, mais qui a été mêlé à l’assassinat de Charles de la Cerda. Il lui assène un violent coup de masse d’armes sur l’épaule avant d’ordonner son arrestation. Le soir même, le comte d’Harcourt et trois de ses compagnons, dont l’écuyer Doublet, sont conduits au lieu-dit du Champ du Pardon. En présence du roi, le bourreau, un criminel libéré pour la circonstance qui gagne ainsi sa grâce, leur tranche la tête25.
Deux jours plus tard, la troupe regagne Paris pour célébrer la fête de Pâques. Charles le Mauvais est emprisonné au Louvre, puis au Châtelet. Mais la capitale n’est pas sûre, aussi est-il finalement transféré à la forteresse d’Arleux, près de Douai, terre d’Empire31 depuis le mariage en 1324 de Marguerite II de Hainaut avec Louis IV de Wittelsbach, l’empereur romain germanique.
Incarcéré, Charles II de Navarre gagne en popularité ; ses partisans le plaignent et réclament sa liberté. La Normandie gronde et nombreux sont les barons qui renient l’hommage prêté au roi de France et se tournent vers Édouard III d’Angleterre. Pour eux, Jean le Bon a outrepassé ses droits en arrêtant un prince avec qui il a pourtant signé la paix. Pire encore, ce geste est perçu par les Navarrais comme le fait d’un roi qui se sait illégitime et espère éliminer un adversaire dont le seul tort est de défendre ses droits à la couronne de France. Philippe de Navarre, frère de Charles le Mauvais, envoie son défi au roi de France le 28 mai 135631. Les Navarrais, et particulièrement les seigneurs normands, passent en bloc du côté d’Édouard III qui, dès le mois de juin, lance ses troupes dans de redoutables chevauchées, en Normandie, dans le Sud puis le Centre de la France. Le 19 septembre, Jean le Bon est fait prisonnier par les Anglais à la défaite de Poitiers.
Lieutenant du Royaume puis régent pendant la captivité de Jean le Bon
L’ordonnance de 1357
En 1356, la guerre de Cent Ans tourne largement à l’avantage des Anglais. Le père de Charles et son frère Philippe sont emprisonnés à Londres. En tant que fils le plus âgé du roi, Charles doit reprendre en main le Royaume. La noblesse française, qui tient son pouvoir de droit divin et doit donc le justifier sur le champ de bataille, sort complètement discréditée des désastres de Crécy et de Poitiers, d’autant que cette période correspond à une montée en puissance de l’artisanat et du commerce, et donc des villes, qui n’attendent que l’occasion de revendiquer une liberté et un pouvoir proportionnels à leur importance économique au sein de la société (en Angleterre les citadins ont été en mesure d’imposer la Grande Charte).
Le retour à Paris du dauphin Charles est difficile : il n’a que 18 ans, peu de prestige personnel (d’autant qu’il a quitté le champ de bataille de Poitiers contrairement à son père et son frère Philippe le Hardi), peu d’expérience et doit porter sur ses épaules le discrédit des Valois. Il s’entoure des membres du conseil du roi de son père, qui sont très décriés.
Les états généraux se réunissent le 17 octobre 1356. Le dauphin, très affaibli, se heurte à une forte opposition : Étienne Marcel, à la tête de la bourgeoisie, allié avec les amis de Charles II de Navarre, dit Charles le Mauvais, regroupés autour de l’évêque de Laon, Robert Le Coq33. Les états généraux déclarent le dauphin lieutenant du roi et défenseur du Royaume en l’absence de son père, et lui adjoignent un conseil de douze représentants de chaque ordre34.
Les états exigent la destitution des conseillers les plus compromis (honnis pour avoir brutalement dévalué la monnaie à plusieurs reprises35), la capacité à élire un conseil qui assistera le roi, ainsi que la libération du Navarrais. Le dauphin, proche des idées réformatrices, n’est pas contre l’octroi d’un rôle plus important des états dans le contrôle de la monarchie. En revanche, la libération de Charles de Navarre est inacceptable car elle mettrait fin au règne des Valois. Pas assez puissant pour pouvoir refuser d’emblée ces propositions, le dauphin ajourne sa réponse (prétextant l’arrivée de messagers de son père33), congédie les états généraux et quitte Paris, son frère Louis le futur duc d’Anjou réglant les affaires courantes. Les états généraux sont prorogés et seront convoqués de nouveau le 3 février 1357.
Avant de partir, le 10 décembre 1356, le dauphin publie une ordonnance donnant cours à une nouvelle monnaie, ce qui lui permettrait de remplir ses caisses sans passer par les états. Il s’agit cette fois d’un renforcement monétaire de 25 %, ce qui avantage les propriétaires fonciers : c’est-à-dire la noblesse, le clergé et le patriciat urbain (qui possède une bonne partie de l’immobilier des grandes villes) donc les catégories sociales représentées aux états. Cela provoque une levée de boucliers de la population parisienne qui voit ses loyers croître de 25 %36. Étienne, lui, choisit le parti des compagnons et des boutiquiers contre la grande bourgeoisie et les spéculateurs qu’il tient pour responsables de ses malheurs dans la succession de Pierre des Essars : il devient maître de la rue36. Des échauffourées éclatent et Étienne Marcel fait pression sur Louis d’Anjou puis sur le dauphin, qui doit révoquer l’ordonnance et rappeler les états généraux37,38.
Pendant ce temps, le dauphin va à Metz rendre hommage à son oncle l’empereur Charles IV pour le Dauphiné, ce qui lui permet d’obtenir son soutien diplomatique. À son retour en mars 1357, il accepte la promulgation de la « grande ordonnance », esquisse d’une monarchie contrôlée et vaste plan de réorganisation administrative, mais obtient le maintien en captivité de Charles de Navarre. Une commission d’épuration doit destituer et condamner les fonctionnaires fautifs (et particulièrement les collecteurs d’impôts indélicats) et confisquer leurs biens. Neuf conseillers du dauphin sont révoqués (Étienne Marcel tient sa vengeance contre Robert de Lorris)39. Six représentants des états entrent au conseil du roi, qui devient un conseil de tutelle. L’administration royale est surveillée de près : les finances, et particulièrement les mutations monétaires et les subsides extraordinaires, sont contrôlées par les états40.
Libération de Charles de Navarre
Un gouvernement du régent contrôlé par les états avec son assentiment est donc mis en place. Deux conseils cohabitent : celui du dauphin et celui des états. Mais pour les réformateurs et particulièrement les Navarrais cela ne suffit pas : le retour du roi de captivité peut mettre fin à cet essai institutionnel. Étienne Marcel et Robert Le Coq organisent donc la libération de Charles de Navarre, qui peut prétendre à la couronne et est toujours enfermé. Cependant, pour se dédouaner face au dauphin, on donne à cette libération l’aspect d’un coup de force spontané de fidèles navarrais (les frères Picquigny)41.
Le retour de Charles de Navarre est méticuleusement organisé : il est libéré le 9 novembre, il est reçu avec le protocole réservé au roi dans les villes qu’il traverse, accueilli par les notables et la foule réunie par les états. Le même cérémonial se reproduit dans chaque ville depuis Amiens jusqu’à Paris : il est reçu par le clergé et les bourgeois en procession, puis il harangue une foule toute acquise, expliquant qu’il a été spolié et incarcéré par Jean le Bon alors qu’il est issu de lignée royale42.
Mis devant le fait accompli, le dauphin ne peut refuser la demande d’Étienne Marcel et de Robert le Coq et signe des lettres de rémission pour le Navarrais. Le 30 novembre, il harangue 10 000 Parisiens réunis par Étienne Marcel au Pré-aux-Clercs. Le 3 décembre, Étienne Marcel s’invite avec un fort parti bourgeois au conseil du roi qui doit décider de la réhabilitation de Charles de Navarre, sous prétexte d’annoncer que les états réunis au couvent des Cordeliers ont consenti à lever l’impôt demandé par le dauphin et qu’il ne reste que l’accord de la noblesse à obtenir. Le dauphin ne peut qu’acquiescer et réhabilite Charles le Mauvais43.
Plus dangereux encore pour les Valois, les états doivent trancher la question dynastique le 14 janvier 1358. Charles le Mauvais exploite le mois d’attente pour asseoir sa position en Normandie44. Craignant le retour de Jean le Bon, il monte une armée45. À la tête de ses troupes anglo-navarraises, il prend le contrôle de toute la Basse-Normandie puis remonte la vallée de la Seine. Il reçoit des renforts : son lieutenant Martin Henriquez débarque à Rouen avec 1 400 hommes46. Il déploie ses talents d’orateur et de mise en scène pour séduire la noblesse et la bourgeoisie normandes44. Le dauphin se montre actif, en organisant la défense du pays contre les nombreux mercenaires qui, faute de solde, pillent le pays. Les maréchaux de Normandie, de Champagne et de Bourgogne se rendent à sa cour. Charles cantonne à Paris une armée de 2 000 hommes venus du Dauphiné sous prétexte de protéger la ville des exactions des Grandes Compagnies47. Cela met la ville sous pression. Le 11 janvier, il s’adresse aux Parisiens aux Halles en expliquant pourquoi il lève une armée et met en cause les états pour leur incapacité à assurer la défense du pays malgré l’argent prélevé lors des levées d’impôts. C’est un succès et Étienne Marcel doit organiser d’autres réunions noyautées par ses partisans pour le mettre en difficulté48. Le 14 janvier, les états n’arrivant à s’entendre ni sur la question dynastique ni sur la levée d’un nouvel impôt, on décide d’une nouvelle mutation monétaire pour renflouer les caisses de l’État49. Les esprits s’échauffent contre les états, pour le plus grand bénéfice du dauphin49.
L’exécution de l’ordonnance de 1357 est vite bloquée. La commission d’épuration est désignée mais ne fonctionne que cinq mois. Les collecteurs d’impôts nommés par les états rencontrent l’hostilité des paysans et des artisans pauvres. Les six députés entrés au conseil de tutelle sont en minorité et les états généraux manquent d’expérience politique pour contrôler en permanence le pouvoir du dauphin qui, en acquérant du savoir-faire, retrouve l’appui des fonctionnaires. Les déplacements fréquents, coûteux et dangereux à l’époque, découragent les députés de province et les états sont de moins en moins représentatifs. Peu à peu, seule la bourgeoisie parisienne vient siéger aux assemblées. Enfin, Jean le Bon, qui garde un grand prestige, désavoue le dauphin et, depuis sa prison, interdit l’application de l’ordonnance de 1357. Étienne Marcel, constatant l’échec de l’instauration d’une monarchie contrôlée par voie législative, essaie de la faire proclamer par la force. Il ne remet pas en cause la nécessité d’avoir un souverain, mais il cherche à composer avec celui qui lui laissera le plus de pouvoir. Il oscille entre la faiblesse supposée du dauphin et la cupidité de Charles le Mauvais.
Royaume de France entre 1356 et 1363 : Jacqueries et
Grandes Compagnies
- Possessions de Charles de Navarre
- Territoires contrôlés par Édouard III avant le traité de Brétigny
- Le premier traité de Londres cède l’Aquitaine des Plantagenêts aux Anglais et règle la guerre de Succession de Bretagne par une alliance du duché avec l’Angleterre
- Le deuxième traité de Londres comprend en plus la Normandie et le Maine
- Chevauchée d’Édouard III en 1359-60
- Territoires cédés par la France à l’Angleterre par le traité de Brétigny (suit le tracé du premier traité de Londres)
Voyant la situation évoluer vers une monarchie contrôlée avec Charles de Navarre à sa tête, Jean le Bon se décide à conclure les négociations avec les Anglais. Pour cela, il lui faut négocier directement avec Édouard III. Jean le Bon est donc transféré de Bordeaux à Londres. Ses conditions d’incarcération sont royales : il est logé avec sa cour de plusieurs centaines de personnes (ses proches capturés avec lui à Poitiers et ceux qui l’ont rejoint), liberté de circulation en Angleterre, hébergement à l’hôtel de Savoie50.
Il signe en janvier 1358 le premier traité de Londres, qui prévoit :
L’assassinat des maréchaux
La nouvelle de l’acceptation par Jean le Bon du premier traité de Londres, qui cède le tiers du territoire, à l’Angleterre provoque un tollé dont Étienne Marcel va profiter.
Jean Baillet, le trésorier du dauphin, est assassiné le 24 janvier 1358. Le meurtrier (le valet d’un changeur parisien) est saisi alors qu’il se réfugiait dans une église et le dauphin fait de son exécution un exemple52. Étienne Marcel exploite les esprits qui s’échauffent : il y a deux cortèges funèbres, celui de la victime suivi par le dauphin et celui du meurtrier suivi par la bourgeoisie parisienne53.
Le 22 février 1358, Étienne Marcel déclenche une émeute réunissant trois mille personnes qu’il a convoquées en armes53. La foule surprend Regnault d’Acy, l’un des négociateurs du traité de Londres qui a rapporté la nouvelle à Paris. Il se réfugie dans une pâtisserie où on l’égorge férocement avec ses proches.
Au premier plan, le meurtre des deux maréchaux. Au second plan, Étienne Marcel tend un chaperon rouge et bleu au dauphin Charles tandis que ce dernier détourne le regard (
Grandes Chroniques de France,
BnF,
ms. français 2813
fo 409
vo, vers 1375-1380).
Puis la foule envahit le palais de la Cité pour affronter le régent53. Étienne Marcel et certains de ses partisans parviennent à sa chambre dans le but de l’impressionner pour pouvoir mieux le contrôler. Il s’exclame : « Sire, ne vous ébahissez pas des choses que vous allez voir, car elles ont été décidées par nous, et il convient qu’elles soient faites ». Le maréchal de Champagne Jean de Conflans et le maréchal de Normandie Robert de Clermont sont tués devant le prince, qui est couvert de leur sang et croit son existence menacée. Marcel l’oblige à coiffer le chaperon rouge et bleu des émeutiers (aux couleurs de Paris), lui-même coiffant le chapeau du dauphin, et à renouveler l’ordonnance de 135754.
Il l’épargne, pensant pouvoir le contrôler aisément : c’est une lourde erreur. Le timide et frêle dauphin se révélera être un redoutable politique. De fait, jamais Étienne Marcel ne parviendra à le contrôler, même si dans les premiers temps le futur monarque n’avait pas assez de pouvoir pour contrer directement ce redoutable tribun.
Le dauphin ne peut qu’accepter un nouveau changement institutionnel. Son conseil est épuré et quatre bourgeois y entrent. Le gouvernement et les finances sont aux mains des états55, Charles le Mauvais reçoit un commandement militaire et de quoi financer une armée de 1 000 hommes, le dauphin, lui, obtient de devenir régent du Royaume ce qui permet de ne plus tenir compte des décisions du roi tant que celui-ci demeure en captivité (et en particulier des traités de paix inacceptables)56.
Pour ratifier cette nouvelle ordonnance et en particulier son contenu fiscal, il faut l’accord de la noblesse dont une partie ne veut plus se réunir à Paris (en particulier les Champenois et Bourguignons, scandalisés par l’assassinat des maréchaux, qui ont quitté Paris). La noblesse se réunissant à Senlis fournit au dauphin l’occasion qu’il attendait pour quitter la capitale, ce qu’il fait le 25 mars57. Il participe aux états de Champagne qui ont lieu le 9 avril à Provins, obtient le soutien de la noblesse de l’Est du Royaume, et met les délégués parisiens en difficulté58. Fort de ce succès, il s’empare des forteresses de Montereau-Fault-Yonne et de Meaux. L’accès est de Paris est bloqué58. Au sud et à l’ouest, les Grandes Compagnies écument le pays. Il ne reste que l’accès nord qui permette de garder le contact avec les villes des Flandres. Les accès fluviaux sont bloqués. Le 18 avril, Étienne Marcel lui envoie son défi et la ville se prépare au combat : on creuse des fossés, le remblai constituant un talus pour arrêter les tirs d’artillerie. On finance ces travaux par une mutation monétaire et en prélevant un impôt, ce qui diminue la confiance des Parisiens envers le gouvernement des états59.
États généraux de Compiègne
Le dauphin réunit les états généraux à Compiègne en mai 135860,61. Il s’enquiert des malversations, il veut qu’annuellement les dépenses publiques soient réglées d’après leur emploi respectif. Il y tente de protéger le commerce, de faciliter les échanges : il supprime un grand nombre de péages et de taxes sur les matières textiles ou sur les objets fabriqués et il permet aux Juifs de posséder des biens-fonds. Il est décidé une diminution de moitié de l’impôt du sel, une réduction du nombre des gages et des immunités des agents fiscaux62. Les Etats généraux décident en définitive le prélèvement d’un impôt contrôlé par les états, un renforcement monétaire (la monnaie ne devant plus bouger jusqu’en 1359) ; par contre le conseil du dauphin n’est plus contrôlé par les états63.
Jacqueries
Les Jacques et leurs alliés parisiens sont surpris par une charge de chevalerie à bout portant alors qu’ils donnent l’assaut à la forteresse du marché de Meaux où est retranchée la famille du dauphin. Miniature de Loyset Liédet,
BnF, Fr.2643.
Le 28 mai 1358, les paysans de Saint-Leu-d’Esserent (près de Creil dans l’Oise), excédés par les levées fiscales votées à Compiègne et destinées à mettre le pays en défense, se rebellent64. Rapidement, les exactions contre les nobles se multiplient au nord de Paris, zone épargnée par les Grandes Compagnies et tenue ni par les Navarrais ni par les troupes du dauphin, 5 000 hommes se regroupent rapidement autour d’un chef charismatique, Guillaume Carle, connu sous le nom que lui attribue Froissart : Jacques Bonhomme. Il reçoit très rapidement des renforts de la part d’Étienne Marcel (300 hommes menés par Jean Vaillant)65, afin de libérer Paris de l’encerclement que le dauphin est en train de réaliser en préservant l’accès nord qui permet de communiquer avec les puissantes villes des Flandres66. L’alliance avec Étienne Marcel semble réussir lorsque les Jacques s’emparent du château d’Ermenonville.
Le 9 juin, les hommes du Prévôt de Paris et une partie des Jacques (environ mille hommes) conduisent un assaut sur la forteresse du marché de Meaux où sont logés le régent et sa famille pour s’assurer de sa personne67. C’est un échec : alors que les Jacques se ruent à l’assaut de la forteresse, ils sont balayés par une charge de cavalerie menée par le comte de Foix, Gaston Fébus, et le captal de Buch, Jean de Grailly68.
Mais le gros des forces de Guillaume Carle veut en découdre à Mello, bourgade du Beauvaisis le 10 juin. Écarté du pouvoir par Étienne Marcel qui a trop vite cru contrôler le régent après l’assassinat des maréchaux, Charles le Mauvais doit reprendre la main et montrer au Prévôt de Paris que son soutien militaire est indispensable69. Pressé par la noblesse et particulièrement par Jean de Picquigny auquel il doit la liberté et dont le frère vient d’être tué par les Jacques, Charles le Mauvais y voit le moyen d’en devenir le chef65. D’autre part, les marchands pourraient voir d’un bon œil que l’on sécurise les axes commerciaux65. Il prend la tête de la répression, engage des mercenaires anglais et rallie la noblesse. Il s’empare par ruse de Guillaume Carle venu négocier, et charge les Jacques décapités. C’est un massacre, et la répression qui s’ensuit est très dure : quiconque est convaincu d’avoir été de la compagnie des Jacques est pendu sans jugement70. La jacquerie se termine dans un bain de sang dont Charles le Mauvais porte la responsabilité, alors que le dauphin a su garder les mains propres.
La reconquête de Paris
Assassinat d’Étienne Marcel par Jean Maillard, 31 juillet 1358 (
Chroniques de Froissart, Loyset Liedet,
BnF,
ms. français 2643
fo 230,
XVe siècle).
Une fois la Jacquerie écrasée, Charles de Navarre rentre à Paris le 14 juin 135871. Il pense avoir rallié à lui la noblesse mais une grande partie des seigneurs qui étaient à ses côtés contre les Jacques ne le suit pas dans cette démarche et reste derrière le régent qui a su gagner leur confiance. Charles le Mauvais s’établit à Saint-Denis. Il est fait capitaine de Paris par acclamation et Étienne Marcel envoie des lettres dans toutes les villes du Royaume pour qu’il soit fait « capitaine universel »71. L’objectif est de créer une grande ligue urbaine et d’opérer un changement dynastique en faveur du Navarrais.
On engage des archers anglais pour pallier les nombreuses défections de chevaliers qui ont quitté les rangs de l’armée de Charles le Mauvais et assiègent Paris avec le dauphin à partir du 29 juin. Ce dernier se voit encore renforcé par l’arrivée de nombreuses compagnies qui voient dans le pillage de Paris une bonne affaire72. Ces troupes remportent quelques escarmouches contre les troupes d’Étienne Marcel ou du Navarrais73.
Le dauphin veut à tout prix éviter un bain de sang qui le discréditerait et souhaite une solution négociée. Il ne fait donc pas donner l’assaut et continue le blocus en espérant que la situation changera. Mais les mercenaires anglais qui défendent la capitale sont considérés comme ennemis et s’attirent l’inimitié des Parisiens. Le 21 juillet, à la suite d’une rixe de taverne qui dégénère en combat de rue, 34 archers anglais sont massacrés74. Les Parisiens en armes en saisissent 400 qu’ils veulent soumettre à rançon74.
Le lendemain, Étienne Marcel, Robert Le Coq et Charles de Navarre réunissent la population place de Grève pour calmer les esprits, mais les événements leur échappent et la foule réclame de les débarrasser des Anglais. Pour maîtriser la foule (8 000 piétons et 1 600 cavaliers en arme), ils la conduisent par groupes distincts vers les mercenaires en embuscade ; ceux-ci taillent les Parisiens en pièces : 600 à 700 meurent dans ces affrontements75,76. Les Parisiens suspectent Charles de Navarre d’avoir prévenu les mercenaires de leur arrivée (il les a quittés avant le combat)77. Leurs chefs soutenant les ennemis du pays contre le régent et contre la population, les Parisiens se sentent trahis et se désolidarisent d’Étienne Marcel, d’autant que Charles de Navarre attend son frère Philippe et des renforts anglais78. La nouvelle du massacre des Parisiens fait vite le tour de la ville, et Étienne Marcel est hué à son retour à Paris77.
La rumeur enfle rapidement : on dit que Philippe de Navarre arrive avec 10 000 Anglais. On redoute qu’ils ne vengent leurs camarades et pillent la ville. Préparant l’entrée des Navarrais, Étienne Marcel fait marquer les maisons de ceux qu’il suspecte de sympathie pour le régent, dans la nuit du 30 au 31 juillet. Mais les signes sont interprétés, et la suspicion à son égard augmente encore79. L’échevin Jean Maillart, le président du Parlement de Paris Jehan Pastoret et Pépin des Essarts convainquent les bourgeois de demander l’aide du régent80. Le 31 juillet 1358, à l’aube, Étienne Marcel en compagnie du trésorier de Charles de Navarre essaye de se faire remettre les clefs de la porte de Saint-Denis mais se heurte au refus de Jean Maillard. N’insistant pas, il tente sa chance à la porte Saint-Antoine, mais Jean Maillart a sonné l’alerte et rameute le maximum de monde : Étienne Marcel surpris est sommé de crier « Montjoie au roi et au duc. ». Après hésitation il s’écrie « Montjoie au roi. ». Il est apostrophé, la foule gronde. Son sort est déjà scellé : au signal convenu (« Qu’est ce que ceci ? »), il est massacré avec ses suivants81.
Charles demande à Jean de Duison, grand prieur des hospitaliers de France, capitaine de la ville et de la vicomté de Paris, de faire abattre toutes les forteresses qui pourraient nuire au Royaume et à la ville de Paris, notamment celle de Bolon. Mandement donné au Louvre, 17 mars 1359.
Archives nationales de France.
Le dauphin, qui ne croit plus en une reddition, est en train de se diriger vers le Dauphiné quand on lui apprend les nouvelles en provenance de Paris82. Escorté par Jehan Pastoret, venu le rejoindre et le prier de rentrer à Paris, Charles V entre dans la capitale le 2 août triomphalement, il a les mains propres. Pardonnant aux Parisiens (il n’y a que très peu de répression, seules quinze personnes sont exécutées pour trahison), il veille à ne pas spolier les proches des exécutés tout en récompensant ses alliés. Par exemple, la riche veuve de l’échevin Charles Toussac exécuté le 2 août est mariée avec Pierre de Dormans : le dauphin récompense Jean de Dormans (un de ses fidèles) en plaçant son frère et il ne spolie pas l’héritage de la veuve de son opposant83.
Charles de Navarre qui était stationné avec ses hommes à Saint-Denis échappe au revirement des Parisiens. Il reçoit les renforts anglais amenés par son frère. Ces mercenaires n’ont pas été soldés, ils ont du mal à les tenir et les laissent piller Saint-Denis le 3 août84. Ils se replient sur leurs possessions de la vallée de la Seine où les capitaines anglais s’installent, rançonnant les campagnes et le trafic fluvial. Les troupes anglo-navarraises tentent d’asphyxier Paris en s’emparant de Melun qui contrôle la Seine en amont de la capitale, de Creil sur l’Oise et de la Ferté-sous-Jouarre sur la Marne. Plus de 60 places en Île-de-France sont sous contrôle anglo-navarrais ou de mercenaires bretons qui rançonnent la population85. Le dauphin n’a pas les moyens de tous les déloger, mais il assiège Melun. Charles de Navarre s’en tire encore par un revirement : il rencontre le dauphin à Pontoise le 19 août et annonce qu’il se retire. Cependant ses troupes ne quittent pas les places fortes qu’elles contrôlent continuant à rançonner le pays pour leur compte comme les autres compagnies qui mettent à cette époque le pays à feu et à sang86. Faute des ressources nécessaires, le conflit tourne à la guerre froide, le roi, puis le dauphin essayent de neutraliser Charles de Navarre qui reste un dangereux prétendant à la couronne, ou pour le moins à l’instauration d’une puissante principauté qui pourrait s’allier aux Anglais.
Deuxième traité de Londres
En mars 1359, tenant compte de l’approche de la fin de la trêve et du fait que le dauphin s’est déclaré régent du Royaume, Jean le Bon cherche à reprendre les rênes du pouvoir et accepte un second traité de Londres, encore plus contraignant :
- Aux anciennes possessions d’Aquitaine des Plantagenêt, s’ajoutent toutes les terres qui ont un jour appartenu à l’Angleterre : le Maine, la Touraine, l’Anjou et la Normandie ;
- Le roi d’Angleterre reçoit l’hommage du duc de Bretagne, réglant ainsi la guerre de Succession de Bretagne en faveur de Jean de Montfort, allié des Anglais ;
- La rançon est fixée à 4 millions d’écus avec un échéancier plus bref.
Ces conditions représentent plus de la moitié du territoire et plusieurs années de recettes fiscales. Les accepter discréditerait définitivement les Valois, et risquerait de faire sombrer le Royaume dans une nouvelle guerre civile qui offrirait à Édouard III la couronne de France sur un plateau. Le traité, qui doit rester secret, arrive à la cour des comptes le 27 avril 1359. Le 25 juin 1359, passant outre les ordres de son père, le régent réunit les états généraux qui déclarent que le traité « n’est ni passable ni faisable »87. C’est un coup de maître : en passant par les états généraux, il reconsolide le pays contre les Anglais et dédouane son père qui est aux mains d’Édouard III. Il ressort de cette affaire avec un pouvoir raffermi et le pays derrière lui. Mais, pour les Anglais, il s’agit d’une déclaration de guerre : Édouard III débarque en octobre 1359 pour prendre Reims, la ville du sacre, et imposer à la chevalerie française une nouvelle défaite qui achèverait de la discréditer.
La tactique de la terre déserte
Mais, en accord avec le roi Jean et son entourage londonien qui ne veulent pas que la mort éventuelle d’Édouard III sur le champ de bataille ne déclenche des représailles à leur encontre, Charles lui oppose la tactique de la terre déserte et mène une guerre d’escarmouches refusant toute bataille rangée. Les portes de Reims restent closes. Or, conformément à sa stratégie qui consiste à forcer les Français à livrer une grande bataille en rase campagne, Édouard III n’a pas emmené de machines de guerre qui l’auraient ralenti. Il se dirige vers la Bourgogne. Cette chevauchée tourne au fiasco pour les Anglais, harcelés, affamés, privés de montures (faute de fourrage). Pendant ce temps, des marins normands mènent un raid sur le port de Winchelsea (mars 1360), déclenchant une panique en Angleterre88.
Fou de rage, Édouard III remonte vers Paris et laisse son armée commettre de nombreuses exactions : il ne s’agit plus de la simple extorsion visant à nourrir son armée, mais de la destruction systématique de toutes les ressources – les pieds de vignes sont arrachés, le bétail abattu et toute âme qui vive massacrée. Ces exactions entraînent un vif ressentiment contre les Anglais. Nombre d’entre elles ont lieu pendant le carême et la Semaine sainte et, lorsque l’armée anglaise est décimée par un violent orage de grêle le 13 avril, nombre de chroniqueurs y voient la main de Dieu89. Édouard III se décide alors à négocier. Il signe la paix à Brétigny, où il dissout son armée de mercenaires. Celle-ci, pour se solder, se livre au pillage en Bourgogne, seule région « ouverte », car, contrairement à la Champagne et l’Île-de-France, leur arrivée n’y était pas prévue. Ces mercenaires forment l’embryon des Grandes Compagnies.
Le retour du roi
Traité de Brétigny
1365 : La France après les traités de Brétigny et de Guérande.
- Territoires contrôlés par Édouard III avant le traité de Brétigny
- Territoires cédés par la France à l’Angleterre par le traité de Brétigny
- Territoire du duché de Bretagne, allié aux Anglais
- Possessions de Charles de Navarre
Échaudé par le refus du deuxième traité de Londres, Jean le Bon a repris les choses en mains. Le danger d’une prise de pouvoir par les Navarrais ou par les états étant écarté, le roi veut neutraliser au plus vite le dauphin (il craint particulièrement qu’une action d’éclat entraîne la mort du roi d’Angleterre qui menacerait sa sécurité). Alors qu’Édouard III chevauche les terres du village de Sours, en France, les rênes du pays sont reprises par son éminence grise Guillaume de Melun, qui met le dauphin en résidence surveillée et dirige le conseil90. Le parti royal négocie à la va-vite sur la base du premier traité de Londres, alors que l’armée anglaise est en déroute, évitant que le seul dauphin bénéficie de ce succès.
Par rapport au premier traité de Londres, la rançon est ramenée de 4 à 3 millions d’écus, mais les conditions sont très lourdes et le traité est perçu comme honteux. Cet accord met un terme aux quatre années de captivité de Jean le Bon, mais des otages sont livrés pour garantir le paiement de la rançon, dont le plus important est sans doute son ambassadeur et conseiller : Bonabes IV de Rougé et de Derval.
Édouard III obtient la Guyenne et la Gascogne en toute souveraineté, ainsi que Calais, le Ponthieu et le comté de Guînes. Il obtient également le Poitou — dont l’un des fils du roi, Jean, est pourtant comte —, le Périgord, le Limousin, l’Angoumois et la Saintonge. Enfin, il devient souverain de toutes les terres du comte d’Armagnac en recevant l’Agenais, le Quercy, le Rouergue, la Bigorre et le comté de Gaure.
En revanche, Édouard III renonce aux duchés de Normandie et de Touraine, aux comtés du Maine et d’Anjou et à la suzeraineté sur la Bretagne et la Flandre. Il renonce surtout à revendiquer la couronne de France. Ce traité vise à désamorcer tous les griefs qui ont conduit au déclenchement du conflit.
Charles a besoin de temps pour réorganiser le pays et mettre fin à l’instabilité qui y règne. La rançon ne sera que partiellement versée et le traité de Brétigny ne sera pas durable, mais il permet une trêve de neuf ans.
Son père nomme Charles Lieutenant général en toutes les parties de la langue d’oïl le 17 décembre 1362. En 1364, ayant regagné l’Angleterre, il le nomme à nouveau son lieutenant et lui assigne le duché de Touraine.
Lutte contre les Grandes Compagnies en Normandie
Le dauphin évincé du pouvoir, comme à chaque fois qu’il est en difficulté, demande conseil à son oncle l’empereur Charles IV. Celui-ci lui recommande de concentrer ses efforts sur la Normandie, région particulièrement touchée par les exactions des Grandes Compagnies tolérées par les Navarrais. Il s’agit souvent de mercenaires anglais qui, en leur nom propre ou en se réclamant du roi de Navarre, prennent le contrôle de forteresses pour le compte d’Édouard III91. Mantes, Meulan et Vernon sont des places fortes navarraises qui contrôlent la vallée de la Seine en aval de Paris92. Qu’il s’agisse de forces navarraises, anglaises ou de simples brigandages, les effets sont les mêmes : la population est rançonnée et les échanges fortement perturbés.
Le dauphin lève un impôt direct, le fouage, pour organiser la défense du duché. Il peut ainsi financer une flottille de guerre qui protège les échanges entre Paris et Rouen92. Depuis 1362, il peut compter sur Bertrand du Guesclin pour défendre la Basse-Normandie. Il rachète le donjon de Rolleboise, qui contrôle la Seine, à Jean Jouël, un capitaine anglais qui l’a pris en son nom pour le compte d’Édouard III91. Les paysans le rasent pour empêcher qu’il serve à nouveau de base pour de nouvelles exactions.
Mais le danger le plus menaçant reste Charles de Navarre : en 1363, Jean le Bon confie à Philippe le Hardi en apanage le duché de Bourgogne, vacant depuis la mort de Philippe de Rouvre en 1361, évinçant le Navarrais pourtant bien placé héréditairement93. Ce dernier, profitant du retour du roi à Londres pour tenter une nouvelle fois de faire valoir ses droits à la couronne, masse une armée en Basse-Normandie94. Sur instruction de son père, le duc prend les devants : du Guesclin attaque les forteresses navarraises, prenant Mantes et Meulan les 7 et 11 avril, et prend le contrôle de la Seine95. Pour éviter que Blanche de Navarre, sœur de Charles le Mauvais, n’ouvre les portes de Vernon, Pontoise, Neauphles, Chateauneuf-de–Lincourt, Gisors ou Gournay, le dauphin marche sur Vernon où elle est retranchée et négocie sa neutralité dans le conflit qui l’oppose aux Navarrais. Il nomme les capitaines qui contrôleront les châteaux et leur fait jurer qu’ils ne feront pas la guerre contre lui96.
Le roi s’éloigne du pouvoir
Retour de Jean le Bon en Angleterre,
Grandes Chroniques de France de Charles V.
En 1362, après le désastre de Brignais où les Grandes Compagnies infligent une défaite amère à l’armée qu’il a pu réunir avec l’argent des impôts, Jean le Bon, voyant un pays ruiné à feu et à sang, cherche une porte de sortie. Envisageant de reconquérir son honneur en croisade contre les Turcs, il reçoit la croix d’Outremer des mains du pape à Avignon le 30 mars 136397. Cette croisade financée par le pape permettrait d’emmener les Grandes Compagnies se battre contre les Turcs et serait financée par les décimes, le roi comptant bien en récupérer une partie pour financer le remboursement de sa rançon. Mais le pape impose que les décimes soient prélevées par les évêques eux-mêmes, ce qui ôte tout espoir de plus-value à Jean le Bon98. Finalement, il repart pour Londres le 3 janvier 1364 pour renégocier le traité de Brétigny pour lequel il a du mal à payer la rançon et la libération des otages (son fils Louis d’Anjou, lassé d’attendre sa libération, s’est déjà enfui de Londres)99.
Avant de partir, il réunit les états à Amiens fin décembre 1363 pour leur faire part de sa décision99. Le dauphin, convié et recevant l’instruction d’attaquer Charles le Mauvais avant qu’il ne mette en branle les troupes qu’il masse en Normandie, y obtient de pouvoir lever l’impôt nécessaire pour lever 6 000 hommes pour lutter contre les Grandes Compagnies. Jean le Bon meurt à l’hôtel de Savoy, à Londres, le 8 avril 1364.
Début de règne
Le sacre et la fin de la guerre civile
Son éviction de la succession de Bourgogne au profit de Philippe le Hardi en septembre 1363 est pour Charles de Navarre inacceptable. En 1364, Jean le Bon, libéré à la suite du traité de Brétigny, est retourné se constituer prisonnier en Angleterre car son fils Louis laissé en otage pour garantir les accords de Brétigny s’est échappé. Comme le dauphin Charles doit assurer la régence, Charles le Mauvais croit alors en son étoile. Il se lance dans des tractations diplomatiques qui laissent clairement entrevoir ses intentions. Il rencontre le Prince Noir à Bordeaux. Il négocie la paix avec Pierre IV d’Aragon, lui promettant des terres appartenant au roi de France : le Bas-Languedoc, les sénéchaussées de Beaucaire et de Carcassonne (mais son frère Louis combat côté castillan ce qui ralentit les négociations qui ne sont finalisées qu’en août 1364)100. Pour prendre à revers le duché de Bourgogne, il recrute des troupes parmi les Grandes Compagnies. Il fait même broder sa bannière aux armes de France et de Navarre100.
Les Valois ne sont pas dupes et prennent les devants. Le dauphin Charles, averti par son père avant de repartir se constituer prisonnier à Londres, lance l’offensive : les forteresses normandes du Navarrais sont conquises par du Guesclin, Charles le Mauvais contre-attaque, et tente d’empêcher le sacre de Charles en lui coupant la route de Reims101. Bertrand du Guesclin, à la tête de l’armée levée grâce aux impôts votés par les états généraux de 1363, lui reprend, en avril 1364, les villes de Mantes et de Meulan puis le bat le 16 mai 1364 à la bataille de Cocherel, ce qui met fin à la guerre civile et rétablit l’autorité royale aux yeux de la population, montrant que les sacrifices financiers consentis par la population pour l’effort de guerre ont été suivis d’effets sur le terrain102, et permet le sacre du roi de France le 19 mai 1364 dans la cathédrale de Reims. Le nouveau roi prend alors une décision qui marque clairement sa volonté politique : les prisonniers français pris à Cocherel sont décapités et non mis à rançon comme il est d’usage dans la guerre féodale. Ce qui signifie que la guerre privée contre le roi est à présent considérée comme de la trahison103.
Par le traité d’Avignon, en mars 1365, Charles le Mauvais abandonne à Charles V ses possessions en Basse-Seine (comté d’Évreux) en échange de la ville de Montpellier. Cet accord ne sera cependant réellement appliqué que 5 ans plus tard.
Guerre de Succession de Bretagne
Depuis 1341, la maison de Montfort, soutenue par l’Angleterre, et la maison de Blois, protégée par la France, se disputent le duché de Bretagne. Les Anglais occupent Brest depuis 1342, mais la situation était bloquée depuis la mort de Jean de Montfort en 1343. En 1363, son fils Jean IV rentre en Bretagne après avoir été éduqué à la cour d’Édouard III qu’il n’apprécie guère : il escompte s’entendre avec Charles de Blois pour obtenir la paix et le partage de la Bretagne104. Mais Jeanne de Penthièvre ne l’entend pas de cette oreille et relance le conflit, rejetant Jean IV dans le camp anglais104. La guerre reprend donc en 1363 où Charles de Blois secondé par Bertrand Du Guesclin remporte quelques succès, mais, quand son stratège doit le quitter pour se rendre maître des places fortes navarraises en Normandie, son avancée s’arrête : il assiège en vain Bécherel104. L’occasion est belle de négocier un accord à Évran, mais Jeanne de Penthièvre fait capoter une nouvelle fois les négociations104. Jean IV peut alors s’organiser et en septembre 1364, assiège Auray avec l’Anglais John Chandos. Ils vainquent Charles de Blois et Bertrand du Guesclin arrivés au secours des assiégés à la bataille d’Auray, le 29 septembre 1364105. Cette bataille marque la fin de ce long conflit : Charles de Blois y est tué et Jeanne de Penthièvre se retrouvant veuve voit sa cause s’effondrer. La paix est avalisée le 12 avril 1365 par le premier traité de Guérande qui établit Jean IV comme héritier légitime105. Il ne repousse pas totalement les prétentions des Penthièvre, puisqu’il établit ainsi la loi successorale en Bretagne :
- le duché se transmettra de mâle en mâle dans la famille des Montfort ;
- en cas d’absence de descendance mâle, il passera aux mâles de la famille de Penthièvre.
Charles V ne s’oppose pas à l’élévation du comte de Montfort, dans la crainte qu’il ne fasse hommage de la Bretagne à Édouard III, son protecteur et beau-père. Il le reconnaît pour duc, reçoit ses serments, sans être dupe ; mais il gagne par cette politique l’amitié de la noblesse bretonne, et Olivier de Clisson passe à son service. En fait, il officialise très habilement deux points:
- en recevant son hommage en décembre 1366 (qui n’est qu’un hommage simple et non un hommage lige), il fait reconnaître la souveraineté de la France sur la Bretagne, même si dans les faits le duché est très autonome ;
- Il consolide l’introduction de la masculinité dans le droit successoral, délégitimant ainsi les prétentions d’Édouard III à la couronne de France105.
Jean IV, qui épouse une sœur puis une belle-fille du Prince noir, est un allié des Anglais, et donc un ennemi de Charles V, lequel mène une reconquête patiente de tout le territoire français. Une fois débarrassé des Anglais qui ne contrôlent plus que quelques places fortes sur le continent et n’ont plus la maîtrise des mers depuis la bataille de La Rochelle, le roi de France reprend les hostilités et confisque le duché de Bretagne en 1378. Soutenu par le peuple breton et par la volonté d’indépendance des barons, Jean IV se maintient de fait.
Lutte contre les Grandes Compagnies
Le rétablissement de l’autorité royale et de l’économie passe par l’éradication des Grandes Compagnies qui saignent le pays. Charles V doit faire comprendre que le Royaume n’est plus un havre pour les pillards. Il traite le problème avec la plus grande rigueur et fermeté : il fait appliquer la loi et ne négocie pas avec les truands. Le roi et ses frères organisent la réponse militaire au sein de chaque principauté106. C’est rapidement tout le pays qui s’organise contre les Grandes Compagnies. Chevaliers, villes, paysans envoient des contingents. Les routiers français sont exécutés et les étrangers de quelque valeur soumis à rançon107.
Une fois que la situation des Grandes Compagnies est devenue inconfortable sur le sol français, il est plus facile de les convaincre de les envoyer combattre sous d’autres cieux. La guerre de Succession de Bretagne ayant pris fin avec la bataille d’Auray de nombreux Bretons démobilisés viennent grossir les rangs des Grandes Compagnies. Charles V paye donc la rançon de Bertrand du Guesclin, capitaine breton respecté et lui confie la mission de les emmener combattre en Castille pour le compte de son allié Henri de Trastamare. Cela a un double effet : débarrassé des Grandes Compagnies, l’économie du pays se relance, et entraîne bientôt le prince de Galles dans un conflit ruineux contre son allié. En décembre 1367, revenu victorieux de Castille mais exsangue, ce dernier lâche ses mercenaires aux frontières de la Guyenne. Marchant sur Paris, ces derniers sont repoussés par les Français. Mais cet acte est considéré comme un casus belli et il va relancer la guerre108.
Première guerre civile de Castille
Charles V, qui prévoit déjà la reconquête, voit d’un mauvais œil la présence d’un allié des Anglais aux frontières. Il souhaite le faire remplacer par un solide allié qui pourra le temps voulu faire peser une menace sur la principauté d’Aquitaine. Les Anglais ne peuvent pas reprendre les hostilités directement contre la France avant la fin des transferts de souveraineté décidés au traité de Brétigny : ils y perdraient toutes les concessions territoriales extrêmement avantageuses qu’ils y ont obtenues109. Les Anglais ayant les poings liés, le roi de France a le libre choix de la reprise des hostilités, mais il n’en a pas les moyens économiques, le pays étant ravagé par les Grandes Compagnies et saigné par l’exorbitante rançon de Jean le Bon. Pour se refaire une santé financière, il faut se débarrasser des Grandes Compagnies qui bloquent tous les axes commerciaux et pressurent la population de tout ce qu’elle aurait pu donner en taxes à l’État. Avignon étant menacée et rançonnée par les compagnies, le pape voit d’un bon œil le projet de croisade en Espagne proposé par Charles V. L’objectif officiel est le suivant : mener une croisade contre l’émirat de Cordoue, ce qui nécessite de passer par la Castille. Le pape n’est pas dupe, mais ses intérêts convergent avec ceux de Charles V : il faut se débarrasser des Grandes Compagnies. Il finance donc l’expédition110.
Charles V charge Bertrand du Guesclin de rassembler les Grandes Compagnies et de les mener en Castille. La croisade arrive en Catalogne en janvier 1366 et obtient de rapides succès. Henri de Trastamare est couronné le 5 avril 1366111.
Rapidement chassé du trône castillan, Pierre le Cruel prépare son retour. En toute logique, il trouve des alliés chez les adversaires de la France et peut s’appuyer sur le Prince noir et Charles le Mauvais. Il active son alliance anglaise, promettant au Prince noir de financer le conflit111. Ce dernier lève donc une armée embauchant les Grandes Compagnies qui ravagent le Languedoc111. Charles le Mauvais, roi de Navarre, autorise le passage de cette armée. Elle franchit le col de Roncevaux en février 1367. Henri de Trastamare lui barre la route à Nájera et livre combat aux archers anglais contre l’avis de Bertrand du Guesclin le 3 avril 1367112. L’arc long anglais y est une fois de plus décisif : les Franco-Castillans, écrasés sous une nuée de flèches, sont taillés en pièces. Bertrand du Guesclin est fait prisonnier. Henri doit de nouveau s’enfuir en France et Pierre le Cruel reprend le pouvoir. Cependant le roi de France tire plusieurs bénéfices de l’expédition castillane : d’une part, il est définitivement débarrassé des Grandes Compagnies qu’il avait engagées avec l’argent du pape et, d’autre part, cette victoire coûte très cher aux Anglais, car Pierre le Cruel n’a pas les moyens de payer l’armée qui l’a remis sur le trône. C’est ruiné et devant se débarrasser des Grandes Compagnies que le Prince noir regagne l’Aquitaine.
Pierre le Cruel n’ayant pas versé les contreparties promises au Prince Noir dans le traité de Libourne, les troupes anglaises retournent en Guyenne, laissant le champ libre à Henri de Trastamare, toujours allié du roi de France par le traité d’Aigues-Mortes. En 1367, Henri et du Guesclin assiègent Tolède et battent l’armée de Pierre le Cruel arrivée en renfort lors de la bataille de Montiel.
Pierre le Cruel et Henri de Trastamare s’affrontent en un combat singulier dont la conclusion est la mort de Pierre de Castille. Henri devient roi de Castille sous le nom d’Henri II, et la couronne de Castille passe des mains de la maison d’Ivrée à celle de Trastamare. La France dispose désormais d’un allié à la tête du royaume de Castille. Cet allié se révèle tout à fait décisif lors de la bataille de La Rochelle, en 1372, qui voit l’anéantissement de la flotte anglaise par l’alliance franco-castillane.
Réorganisation de l’armée
Charles V, qui prépare la reconquête, a mis à profit les années de répit obtenues en profitant du conflit castillan : ses finances sont redressées grâce à l’instauration d’un impôt permanent. Il faut à présent mettre sur pied l’armée de la reconquête.
La lutte contre les Grandes Compagnies permet de mettre au point une nouvelle organisation des troupes et de repérer des capitaines fiables et fidèles, comme Bertrand Du Guesclin et son cousin Olivier de Mauny, nommé chambellan par le roi, ou Olivier de Clisson. On organise autour d’eux de petites armées composées de routiers d’une centaine d’hommes113. On solde ainsi une armée permanente de 5 000 à 6 000 hommes, dont on est sûr qu’ils ne deviendront pas des pillards pendant les périodes de trêve. Ces effectifs sont largement suffisants pour mener la guerre faite de coups de main et de sièges nécessaires pour mettre au pas les Grandes Compagnies. Les effectifs sont composés de volontaires français (souvent de petite noblesse) et d’arbalétriers italiens113. Il faut combler le retard pris sur les Anglais en archerie. Charles V encourage les concours de tir à l’arc comme l’ont fait les rois d’Angleterre, et engage de nombreux arbalétriers entre 1364 et 1369114.
Cette armée peut être levée en janvier 1364 grâce à l’impôt consenti par les états généraux réunis à Amiens. Menée par Bertrand du Guesclin, elle remporte immédiatement sa première grande victoire à Cocherel. Son efficacité doit être prouvée pour justifier son financement par des impôts : le nombre de combattants et la qualité de leur équipement sont contrôlés par des fonctionnaires, et la solde n’est versée qu’une fois par mois, lors de la montre, uniquement si l’équipement est satisfaisant. Il faut que ces armées soient extrêmement mobiles et très réactives : elles sont montées bien que combattant à pied. Elles sont informées par des chevaucheurs et messagers qui font la liaison entre le roi et le front.
Pour prendre rapidement les forteresses, une artillerie conséquente est formée : en 1375, le château de Geoffroy de Harcourt capitule sous le feu de 40 canons115.
La reconquête
Isolement diplomatique de l’Angleterre
Charles V déploie une activité diplomatique intense. Il a toujours été proche de son oncle maternel, l’empereur germanique Charles IV116 et a toujours veillé à ce que ces liens ne refroidissent jamais117. Il obtient de son oncle, en 1372, qu’il interdise aux mercenaires allemands de s’enrôler dans l’armée anglaise.
Avignon, résidence pontificale, est le centre diplomatique de l’Europe. Or, le Français Grégoire XI, ancien précepteur de l’empereur, a été élu en 1370 grâce aux efforts de Charles V et Louis d’Anjou, avec lesquels il est également proche118.
Le roi de France envoie Thibaut de Hocie en 1368 nouer des alliances espagnoles. Il échoue en Aragon. Mais Henri II, le nouveau souverain de Castille, fortement soutenu par Charles V dans la guerre de succession qu’il mène contre son demi-frère Pierre le Cruel, est un allié indéfectible et un farouche ennemi des Anglais qui ont, eux, soutenu son rival. Thibaut de Hocie revient donc avec un solide traité d’alliance, précieux après la victoire de Montiel et la victoire définitive sur Pierre le Cruel119.
En 1371, Charles V réactive la Auld Alliance et obtient également le soutien des Écossais, après leur avoir promis qu’il n’y aurait plus de paix sans leur accord, comme ce fut le cas à Brétigny120. De même, il soutient Owain Lawgoch, prétendant à la principauté de Galles réfugié à sa cour, et pourra compter sur lui lors de la reconquête121. Il cherche à obtenir la suprématie maritime pour couper l’arrivée de renforts anglais en Aquitaine, d’où l’importance de pouvoir compter sur les flottes castillane et galloise et de se rapprocher du roi du Danemark.
L’isolement diplomatique des Anglais implique également la neutralisation de leurs alliés. Charles le Mauvais est la première menace pour la couronne de France : il est vaincu à Cocherel en 1364 et Charles V fait pression sur sa sœur Jeanne, l’épouse de Charles le Mauvais, pour que ses forteresses ne puissent être utilisées par les troupes de son beau-frère rival96. Il propose dès 1365 d’échanger Mantes, Meulan et Longueville contre Montpellier. Les négociations durent 5 années, durant lesquelles le Navarrais tente d’obtenir un traité d’alliance perpétuelle avec les Anglais. Mais ceux-ci sont rendus méfiants par les revirements incessants du Navarrais.
Constatant que la Navarre est cernée par l’alliance franco-castillane et que les Anglais sont en difficulté, il revient en France pour signer, le 29 mars 1371, un traité par lequel il accepte les conditions de 1365 et fait hommage lige pour toutes les terres qu’il détient en France, ce qu’il avait toujours refusé122.
En Flandres, Louis de Male est, dans un premier temps, sensible à la nécessité économique : les drapiers flamands sont dépendants des importations de laine anglaises. Le 10 octobre 1364, il fiance sa fille Marguerite, héritière des comtés de Flandre, de Nevers, de Rethel et de Bourgogne, avec Edmond de Langley, le fils d’Édouard III. Edmond recevrait en outre de son père Calais et le comté de Ponthieu ce qui, avec l’Artois, le Rethel et la Flandre, constituerait une principauté anglaise équivalente à la Guyenne au nord de la France123. Mais pour cela, il doit obtenir une dispense pontificale car les fiancés sont consanguins au 4e degré. Après un ballet diplomatique à Avignon, où Français et Anglais argumentent sur le sujet, Urbain V refuse d’accorder cette dispense. La bataille diplomatique continue jusqu’en 1367, date à laquelle Charles V obtient une dispense pour marier Marguerite de Male avec son frère Philippe le Hardi. Il reste toutefois à obtenir l’accord de Louis de Male pour ce mariage. Ce qui se fait, non sans mal, grâce à l’intervention énergique de Marguerite de France, la mère du comte de Flandres et fille de Philippe V et à la cession de plusieurs villes (Lille, Douai et Orchies) par le roi de France.
Les appels gascons
Charles, du fait des événements de 1358 et de sa difficile prise de pouvoir, comprend qu’un souverain doit avoir le soutien de ses sujets. Il doit reconquérir les cœurs avant les territoires perdus au traité de Brétigny. S’il doit reprendre ces terres, c’est dans son bon droit et avec le soutien de la population qui l’accepte comme souverain.
C’est une lente procédure juridique qui relance la guerre. Le prince de Galles, Édouard de Woodstock (le Prince Noir) qui revient vainqueur mais ruiné de Castille, ne peut solder ses troupes, il doit donc lever des impôts sur son duché d’Aquitaine qu’il dirige en principauté. Il le fait sous forme d’un fouage par ordonnance du 26 janvier 1368124. Mais certains seigneurs n’ont accepté qu’à contrecœur le changement de suzeraineté imposé par le traité de Brétigny et en particulier Jean d’Armagnac qui était proche de Jean le Bon. En décembre 1367, revenu ruiné d’Espagne où son armée a combattu pour le Prince noir son suzerain, il lui réclame en vain les 200 000 florins que le prince anglais lui devait pour payer ses hommes125.
Son ressentiment tourne à l’exaspération quand Édouard de Woodstock, lui aussi ruiné par le conflit castillan, démobilise les Grandes Compagnies qu’il n’a pu solder et qui se payent en pillant le Rouergue, possession de Jean d’Armagnac. Ce dernier refuse de payer l’impôt que veut percevoir le prince de Galles déjà endetté vis-à-vis de lui et qui, en tant que suzerain, aurait dû le protéger des Grandes Compagnies. Il fait appel à Édouard III qui répond négativement126. Il se tourne alors (en mai 1368) vers Charles V : d’après le traité de Brétigny, le transfert de souveraineté ne doit se faire qu’une fois les territoires transférés et la rançon versée, ce qui est loin d’être le cas127. Dès lors, en acceptant de répondre à son appel, le 3 décembre 1368, Charles V fait acte de souveraineté sur la Guyenne124. Le prince de Galles peut donc être jugé pour avoir voulu prélever un impôt auquel il ne pouvait dès lors pas prétendre ! Un beau jour, selon les chroniques de Jean Froissart, Édouard de Galles reçoit à Bordeaux un court message du roi Charles :
Édouard
III accorde la Guyenne à son fils Édouard de Woodstock, dit le Prince noir, 1362 (
British Library, Londres,
ms. latin Cotton Nero D.
VI fo 31, fin du
XIVe siècle).
- « Mandons notre beau cousin, le duc Édouard d’Aquitaine, de moult vaillance et valeur reconnue, à se rendre en notre bonne ville de Paris à propos de certaines affaires pour présenter sa défense à nous, Charles, par la grâce de Dieu, roi de France, et son suzerain.
- Le prince Édouard fut comme hébété et dolent de ce langage. Il finit par se lever, furieux, et déclara au héraut du roi :
- — Nous irons à Paris, s’il le faut, mais ce sera bassinet en tête et avec 60 000 hommes d’armes ! »
Le roi laisse la Cour de Justice de Paris mener la lente procédure qui doit condamner le Prince noir, et profite du délai pour essayer d’obtenir qu’un maximum de seigneurs gascons se joignent au comte d’Armagnac. Les Anglais essayent à tout prix de bloquer l’appel et de sauver la paix pour ne pas perdre tout l’acquis de Brétigny. Le temps gagné est occupé à faire tourner français les seigneurs gascons. Ça commence par les proches du comte d’Armagnac : dès mai 1368, le mariage de son neveu, le comte d’Albret, est doté par le roi de France, qui lui accorde en outre une rente contre l’hommage lige126. Le roi exempte d’impôts pendant 10 ans ceux qui le rejoignent, sous prétexte qu’ils auront besoin d’argent pour lutter contre le prince de Galles. Les villes, les évêques et les seigneurs périgourdins, que Charles V sait séduire par sa diplomatie (alors qu’Édouard de Galles est jugé hautain), rallient le camp français128. Légalement, rien ne s’oppose à la reprise du conflit ; celui-ci reprend avec la Bataille de Mondalazac en janvier 1369 qui permet au comte d’Armagnac de chasser les Anglais du Rouergue. Le roi d’Angleterre se proclame de nouveau roi de France le 3 juin 1369129, Charles V prononce la confiscation de l’Aquitaine le 30 novembre de la même année. La guerre a donc repris, mais Charles V, en excellent juriste, a su mettre le droit de son côté ; d’autant plus que l’habile diplomate a rallié une grande partie des Gascons dans son camp.
Froissart, dans ses chroniques, rapporte ces mots révélateurs :
- « Lors les barons anglais dirent à Édouard que le roi de France était un sage et excellent prince, et de bon conseil. Jean de Gand, le duc de Lancastre, fils du roi Édouard, s’empourpra et lança avec mépris :
- — Comment ? Ce n’est qu’un avocat !
- Lorsque le roi Charles le Cinquième apprit ces paroles, il rit, et déclara d’une voix joyeuse :
- — Soit ! Si je suis un avocat, je leur bâtirai un procès dont ils regretteront la sentence ! »
1369 : ralliement des terres pro-françaises
Charles V tourne le conflit à son avantage. Ayant en mémoire la débâcle de Poitiers où la chevalerie a chargé de manière désordonnée sans attendre les ordres de son père Jean le Bon, transformant une victoire facile en désastre, et considérant qu’il n’a pas de talent militaire, il décide de confier le commandement de petites armées formées de volontaires aguerris à des chefs expérimentés et fidèles (comme Bertrand du Guesclin). Il renonce aux batailles rangées et les lance dans une guerre d’escarmouches et de sièges, grignotant patiemment le territoire ennemi. Les Grandes Compagnies, qui, revenues d’Espagne en 1367, pillent le Languedoc, sont incorporées dès 1369 à l’armée française, ce qui soulage les territoires qui choisissent de tourner français et met sous pression ceux qui restent fidèles au prince de Galles130.
L’endettement du Prince noir pose un réel problème. Du fait des appels gascons, l’impôt rentre mal. Il n’a pas les moyens de monter une armée pour s’opposer aux Français. Édouard III lui envoie donc cent trente mille livres tournois114. Mais le parlement rechigne à payer pour la Guyenne, qui semble coûter plus qu’elle ne rapporte. Il ne finit par y consentir qu’après acceptation qu’il ne soit plus obligatoire de faire transiter la laine par Calais (la taxe sur la laine est le principal revenu de la couronne à l’époque)131. Les revenus fiscaux sont diminués de 25 % en 1369, du fait de la réminiscence de la grande peste en Angleterre. Les Anglais ne sont pas en mesure de concurrencer les impôts — pouvant atteindre jusqu’à 1 600 000 francs par an — que Charles V fait accepter en France pour entretenir des armées permanentes équipées pour une guerre de siège dont les belligérants ne se transformeront pas en Grandes Compagnies à la première trêve. Les Anglais vont être soumis à une pression permanente sur tous les fronts pendant des années132. Les Anglais s’efforcent de contrer le renversement de situation réalisé par Charles V. Une grande partie des territoires qu’ils pensaient contrôler s’est rebellée et ils ont perdu les recettes fiscales que leurs possessions de Guyenne auraient pu leur fournir. Ils plaident devant leur Parlement pour obtenir les ressources pour contre-attaquer, mais ne peuvent obtenir le financement de garnisons pour toutes les villes d’Aquitaine, qu’ils ne sont plus d’ailleurs certains de tenir. Au total, le roi d’Angleterre est loin d’avoir les moyens financiers de Charles V : le parlement ne lui donne que les moyens d’une guerre autofinancée par le pillage, d’autant que la chevauchée du duc de Lancastre vers Harfleur en 1369 est un relatif succès, et sachant que dans la première phase de la guerre elles ont entraîné de grandes victoires sur l’ost français écrasé par la supériorité tactique en bataille rangée apportée par l’arc long anglais. Début août 1369, Jean de Gand débarque à Calais et lance une chevauchée jusqu’à Harfleur, où Philippe le Hardi est en train de préparer un débarquement franco-flamand en Angleterre133. On lui oppose la stratégie de la terre déserte et la chevauchée ne peut s’emparer de la ville. L’armée anglaise est harcelée par les troupes du duc de Bourgogne et, craignant d’être piégée, regagne Calais133. Les raids anglais, s’ils sont dévastateurs pour les campagnes, ne permettent pas de regagner le terrain perdu.
Grâce à sa gestion des appels gascons, Charles V a su se rallier une grande partie de l’Aquitaine. Le comte d’Armagnac tenant la majeure partie des forteresses sur ses terres, il ne reste à rallier que quelques villes craignant des représailles des sénéchaux anglais, mais toutes finissent par accepter les conditions de plus en plus avantageuses offertes par les envoyés du roi (Jean de Berry, Louis d’Anjou et la noblesse gasconne déjà ralliée qui bat le pays). Le roi de France prend soin d’entretenir le patriotisme des régions libérées par l’octroi de nombreux privilèges : il use en particulier de l’anoblissement134, la noblesse française ayant été décimée par la peste, Crécy et Poitiers135. De même, la reconquête se fait grandement par le retournement des villes d’Aquitaine souvent monnayé contre des promesses de fiscalité plus légère136. En quelques mois, plus de soixante villes rallient les Français. Millau cède en dernier en décembre, après avoir obtenu du roi de France une exemption fiscale de vingt ans137. Quelques garnisons anglaises subsistent, mais leur isolement ne leur permet pas de tenir le terrain, Louis d’Anjou progresse en Guyenne pendant que Jean de Berry contient les Anglais en Poitou à la Roche-sur-Yon138.
Pendant ce temps, au nord, le Ponthieu est repris en une semaine : le 29 avril, Abbeville ouvre ses portes à Hue de Châtillon (maître des arbalétriers), et les jours suivants les localités voisines reviennent sous l’autorité du roi de France, qui confirme leurs privilèges138.
Durcissement du conflit (1370)
La reconquête par Charles
V des territoires concédés au traité de Brétigny.
- Domaine royal
- Apanages des frères du roi
- Comté de Foix-Béarn autonome
- Bretagne alliée aux anglais
- Possessions de Charles de Navarre allié des Anglais
- Chevauchée de Lancastre en 1369
- Chevauchée de Robert Knowles en 1370
- Chevauchée de Lancastre en 1373
Les Anglais, attaqués de toutes parts et pris de court en 1369, contre-attaquent. Dans les premiers mois de 1370, les Français continuent à avancer dans les plaines de la Garonne sur deux axes : Agen, Villeneuve-sur-Lot, Pujols, Penne, Fumel et Puymirol au nord et Tarbes, Bagnères et Vic-en-Bigorre au sud se soumettent au roi de France139. Le duc de Berry entre dans Limoges le 24 août 1370, accueilli par les habitants en liesse (l’évêque Jean de Cros a négocié le ralliement de la ville). Mais il quitte la ville le jour même, ne laissant que quelques hommes d’armes, alors que la garnison anglaise est restée retranchée autour du château vicomtal140. Le prince de Galles fait payer très cher leur ralliement aux Limougeaux : le 19 septembre, après 5 jours de siège pendant lesquels les murailles sont sapées et minées, il reprend la ville, épaulé par les ducs de Lancastre et de Cambridge, et fait massacrer la population puis incendier la cité139. L’objectif est de faire un exemple dissuasif pour arrêter l’hémorragie de villes tournant françaises, mais c’est l’effet inverse qui se produit : cette conduite encourage l’anglophobie et renforce le sentiment national naissant141.
Robert Knowles, à la tête d’une chevauchée de 2 500 archers et 1 600 hommes d’armes142, part de Calais fin juillet 1370 et pille les campagnes contournant Amiens, Noyon, Reims et Troyes. Le calcul du roi de France est que les chevauchées ne permettent pas de tenir le terrain et attisent l’anglophobie dans les territoires pillés. Charles V continue de miser sur une guerre de siège et de propagande, qui lui permet de reprendre du terrain, ville après ville, le plus souvent sans combat140. Il renforce le prestige de la couronne de France par ces victoires, malgré les souffrances engendrées par la tactique de la terre déserte (il laisse les chevauchées anglaises piller les campagnes dont la population s’est réfugiée dans les forteresses qui ont été reconstruites dans tout le Royaume) et par le retour de la peste. Ainsi la chevauchée de Knowles est refoulée de Bourgogne. Elle passe 2 jours devant les portes de Paris, pillant les faubourgs sous les yeux des Parisiens à l’abri derrière les murs de la capitale143. Charles V doit montrer que les impôts prélevés pour conduire la guerre sont utiles, d’autant que la nouvelle du sac de Limoges vient d’arriver : les esprits s’échauffent. Olivier de Clisson lui déconseille formellement une bataille rangée. Pour rassurer le pays mis à feu et à sang par la chevauchée de Robert Knolles, Charles V fait connétable le très populaire Bertrand du Guesclin, qui vient de rentrer victorieux de Castille ayant vaincu Pierre le Cruel, l’allié des Anglais à Montiel144 ; il lui confie une armée levée grâce à un emprunt forcé pour harceler les Anglais. Du Guesclin harcèle Robert Knowles et le bat à Pontvallain, le surprenant alors qu’il s’apprête à franchir le Loir145. La zizanie ayant gagné les capitaines anglais, la chevauchée se désagrège arrivée en Bretagne.
Maîtrise des mers (1372)
Après une année plus calme, où Charles V s’applique à nouer des alliances et isoler toujours plus Édouard III (il raffermit les liens avec les Écossais, les Gallois, les Castillans et le Saint-Empire, tout en acceptant la paix avec Charles de Navarre dont le royaume cerné par l’alliance franco-castillane pourrait être menacé)146, l’année 1372 voit le conflit basculer.
Le roi de Castille est allié à Charles V, d’autant que celui-ci l’a aidé à renverser Pierre le Cruel, mais ce sont les revendications des couronnes de Castille et de Léon en 1372 par Jean de Gand, gendre de feu Pierre le Cruel, qui le décident à se jeter dans le conflit. La flotte castillane intercepte le corps expéditionnaire anglais à la Rochelle le 22 juin 1372 et l’anéantit le 23, usant de canons et de brûlots dérivants (il a attendu la marée basse pour que ses navires à faibles tirant d’eau aient un avantage sur les lourds bâtiments anglais gênés à la manœuvre par les hauts fonds sablonneux rochelais)147. C’est un désastre pour l’Angleterre, qui perd la maîtrise des mers.
La campagne pour la reconquête du Poitou, de l’Aunis, de la Saintonge et de l’Angoumois commence aussitôt après la bataille de La Rochelle. Mais la reconquête ne se fait pas facilement : les barons poitevins ont massivement choisi le parti anglais (le Poitou exporte du sel vers l’Angleterre)148. L’armée royale assiège la forteresse de Sainte-Sévère-sur-Indre, qui capitule le 31 juillet. Pendant ce temps, Montcontour est repris, puis Poitiers ouvre ses portes à Du Guesclin le 7 août.
Les forces françaises progressent le long de la côte, vers le sud. Le captal de Buch est capturé le 23 août alors qu’il allait secourir Soubise assiégée : son armée est interceptée par la flotte galloise et castillane qui remonte la Charente. Les îles de Ré et d’Oléron font leurs soumissions le 26 août, mais les barons poitevins restent fidèles aux Anglais et se retranchent dans Thouars.
Du Guesclin continue à progresser le long du littoral jusqu’à La Rochelle, qui est prise le 8 septembre. Ainsi isolées, les villes se rendent tour à tour : Angoulême (la capitale du Prince Noir) et Saint-Jean-d’Angély le 20 septembre, Saintes le 24149.
Occupation de la Bretagne
Si le traité de Guérande a clos le problème de la succession, il ne règle pas le contentieux franco-breton. La noblesse bretonne tend à la neutralité après le long conflit qui a déchiré le duché. Mais Jean IV a des accords à respecter et, s’il épouse une sœur puis une belle-fille du Prince Noir, il temporise pour accepter le traité d’alliance qui était prévu dès 1362 avec le roi d’Angleterre. En 1369, dès le début de la reconquête, des renforts anglais (400 hommes d’armes et 400 archers) conduits par les comtes de Pembroke, Jean de Hastings, et de Cambridge, Edmond de Langley, débarquent à Saint-Malo et rejoignent le Poitou et la Guyenne après avoir recruté quelques compagnies150. L’alliance finit par être ratifiée à la réprobation de la noblesse bretonne alors que 300 archers et 300 hommes d’armes anglais ont débarqué à Saint-Mathieu-de-Fineterre en 1372150. Aussitôt, une troupe française commandée par deux Bretons (Bertrand du Guesclin et Olivier de Clisson) entre dans le duché, provoquant le rembarquement précipité des Anglais151.
En mars 1373, c’est une véritable armée qui débarque à Saint-Malo : 2 000 hommes d’armes et 2 000 archers sous les ordres du comte de Salisbury, William Montagu151. Pour une telle opération, l’accord du duc est indispensable. C’est un casus belli, et Charles V donne l’ordre d’attaquer. Son armée entre en Bretagne avec l’appui d’une bonne partie de la noblesse qui s’enrôle massivement sous la bannière de Bertrand du Guesclin. En deux mois, la quasi-totalité du duché est occupée : à la Saint-Jean, les Anglais ne tiennent plus que Brest, Auray, Bécherel et la forteresse de Derval151. Jean IV quitte la Bretagne dès le 28 avril151.
Chevauchée du duc de Lancastre
N’ayant pas les moyens logistiques et financiers de soutenir la guerre de siège que lui impose Charles V et qui semble conduire à la reconquête progressive de toute l’Aquitaine, Édouard III tente d’affaiblir l’effort français en Guyenne par l’ouverture de nouveaux fronts.
Édouard III tente une chevauchée censée ruiner la France dans ses forces vives. Le 12 juin 1373, il institue son fils, le duc de Lancastre Jean de Gand, lieutenant spécial et capitaine général dans le royaume de France152. Accompagné de Jean IV de Bretagne, il conduit à travers la France une chevauchée des plus dévastatrices. Mais celle-ci reste sous contrôle : Philippe le Hardi tient les ponts et les châteaux sur son aile droite, du Guesclin la suit et empêche tout repli vers Calais. Elle traverse la Picardie et le Vermandois mais, ne pouvant aller vers l’ouest, elle se dirige vers Reims, puis Troyes où elle trouve portes closes153. Battu par Clisson à Sens, le duc de Lancastre ne peut rejoindre la Bretagne, il tente donc de rallier la Guyenne en traversant le Limousin153. Ses hommes sont affamés, les chevaux crevés (ou mangés), la fin de l’expédition se fait à pied et perd la moitié de ses effectifs (les défections sont nombreuses). Trop lourdes, les armures ont été jetées153. Elle est sauvée d’un désastre plus complet par les villes de Tulle, Martel et Brive qui ouvrent leurs portes sans coup férir. Mais le moral n’y est plus, la zizanie gagne les chefs : Montfort lâche la chevauchée153. L’arrivée piteuse du résidu des troupes de Jean de Lancastre à Bordeaux brise le moral des fidèles au roi d’Angleterre : les Français avancent nettement, reprenant Tulle, Martel et Brive, mais surtout en entrant dans La Réole qui verrouille le bordelais et dont les bourgeois savent ne plus pouvoir compter sur aucun secours154. Au total, entre 1369 et 1375, les Français reprennent aux Anglais la quasi-totalité des concessions faites et des terres possédées par l’ennemi avant même le début de la guerre, exceptions faites de Calais, Cherbourg, Brest, Bordeaux, Bayonne, et de quelques forteresses dans le Massif central. Mais parvenu à ce point Charles V sait ne pouvoir reprendre plus de terrain, les Bordelais étant trop anglophiles du fait des liens commerciaux (ils exportent massivement leur vin vers l’Angleterre). Toute sa stratégie étant fondée sur la reconquête des cœurs avant celle des territoires, il ne souhaite pas s’encombrer d’une ville prête à se rebeller à la première occasion154. Tout est ouvert pour finalement négocier, à Bruges, un traité mettant fin à la guerre en reconnaissant la souveraineté des Français sur les territoires reconquis.
En 1375, Jean IV de Bretagne débarque à Saint-Mathieu-de-Fineterre avec 6 000 hommes sous le commandement du comte de Cambridge115. Le succès est rapide mais éphémère : à peine la trêve de Bruges signée entre Français et Anglais que les troupes anglaises quittent la Bretagne et que les places bretonnes retournent françaises115. Jean IV doit retourner en Angleterre.
1375 : trêve de Bruges
La guerre étant arrivée à un statu quo où il devient difficile de faire bouger les lignes, les deux partis sont réunis à Bruges. Mais ils n’arrivent cependant pas à trouver un point d’accord. Sous l’influence de Grégoire XI, les belligérants signent le 1er juillet 1375 une trêve qui dure jusqu’en juin 1377. À la signature de la trêve de Bruges, les Anglais ne possèdent plus en France qu’une Guyenne étriquée et Calais ; la France récupère le duché de Bretagne à l’exception de trois villes.
Durant cette trêve se produisent deux événements qui contribuent à éloigner la menace que font peser les prétentions dynastiques anglaises sur la couronne de France. En 1376 meurt le Prince Noir, héritier du trône d’Angleterre. En 1377 disparaît à son tour Édouard III. Le nouveau roi Richard II a 10 ans, l’Angleterre entre dans une période de troublesn 1 qui empêche les Anglais de reprendre sérieusement les hostilités en France avant l’avènement d’Henri V.
Offensive maritime et terrestre (1377)
Jean de Vienne réorganise la flotte (il remplace Aimery de Narbonne en décembre 1373). Il nomme un maître du clos aux galées chargé de l’achat, de la construction et de l’entretien des navires dans tous les ports royaux155. En 1377, la flotte royale compte 120 navires de guerre dont 35 vaisseaux de haut bord équipés d’artillerie lourde155 (contre seulement 10 en 1376156). En 1379, elle compte 21 navires de plus, auxquels il faut ajouter huit galères castillanes et cinq portugaises156. Il instaure une stratégie de raids côtiers dévastateurs, pendant maritime des chevauchées anglaises157. De 1377 à 1380, une dizaine de ports anglais dont Rye, Hastings, Dartmouth, Plymouth, Wight, Winchelsea, Lewes, Portsmouth ou Yarmouth subissent des raids franco-castillans155. Londres est mise en état d’alerte à plusieurs reprises155. Mais, comme les chevauchées, ces raids, s’ils permettent de peser sur l’économie adverse et sur le moral des populations, ne permettent pas de reprendre du terrain à l’adversaire.
Dans la pratique, la trêve de Bruges se termine à la Saint-Jean 1377, et les Anglais sont immédiatement attaqués sur tous les fronts : par mer (avec un premier raid en juillet et un deuxième en août), en Bretagne et en Guyenne157. Louis d’Anjou et Du Guesclin, chacun à la tête d’une armée progressant sur une rive de la Dordogne, reprennent Bergerac, Saint-Émilion, Libourne et Blaye. Mais, bousculés, les Anglais parviennent à tenir leurs ports et restent maîtres de Bordeaux, Bayonne, Brest, Cherbourg et Calais, leur permettant de débarquer des troupes à leur guise158.
Fin de règne
Visite de l’empereur Charles IV
En janvier 1378, alors qu’il est victorieux sur tous les fronts, Charles V reçoit son oncle l’empereur germanique Charles IV. Pour Charles V, ne parvenant pas à obtenir des Anglais reconnaissance de sa victoire, il s’agit de faire avaliser sa souveraineté et sa victoire par un des souverains les plus puissants d’Europe. D’autre part, il souhaite le soutien de l’empereur pour l’extension du royaume vers l’est : sa famille contrôle le Dauphiné et le comté de Bourgogne (qui sont en terre d’Empire), et il lorgne sur la Provence (ces territoires permettraient de contrôler le très lucratif axe commercial Rhône-Saône). Il soigne ses rapports avec les princes allemands des régions frontalières en fiançant en 1373 sa fille Marie au futur comte de Hainaut, Guillaume, fils du duc Albert Ier de Bavière, et promettant sa fille Catherine à Robert de Bavière, comte palatin du Rhin158. Pour Charles IV vieillissant, il s’agit d’obtenir le soutien diplomatique du roi de France pour l’investiture comme empereur de son fils Wenceslas, déjà roi des Romains, et surtout pour obtenir la main de Marie de Hongrie pour son fils cadet Sigismond159. En effet, Louis le Grand de Hongrie est issu de la première maison d’Anjou et détient les couronnes de Hongrie et de Pologne. Cependant, il n’a pas de fils. Il doit donc trouver des gendres pour ses 3 filles. Charles V souhaiterait que l’aînée Catherine épouse son fils Louis, qui deviendrait alors roi de Hongrie et qui aurait des droits sur le royaume de Naples (et donc sur la Provence) dont la reine Jeanne est angevine et sans héritier elle aussi160. Sigismond, lui, deviendrait roi de Pologne159.
La visite est l’occasion de montrer que le roi de France est l’égal de l’empereur (le protocole est étudié pointilleusement pour cela), pour asseoir la couronne des Valois. L’empereur, après avoir entendu l’historique de la guerre de Cent Ans, soutient son neveu, condamne l’Angleterre, et considère publiquement la reconquête comme juste161. La paix avec l’Angleterre n’est pas obtenue mais l’empereur en légitimant la reconquête affirme la souveraineté des Valois sur ces territoires.
Le schisme
Carte historique du grand schisme d’Occident.
- Pays reconnaissant le pape de Rome
- Pays reconnaissant le pape d’Avignon
En refusant d’accepter le principe d’une supériorité du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel, Philippe le Bel a empêché l’instauration par Boniface VIII d’une théocratie en Europe162. Depuis 1309, les papes résidant en Avignon sont majoritairement français (généralement proches du roi de France), et nomment des Français comme légats et gouverneurs des provinces ecclésiastiques d’Italie. Or, les Français ne sont pas familiers des affaires locales et sont détestés des Italiens. Grégoire XI commet l’erreur de perpétuer cette mauvaise habitude. À sa mort, les Italiens spoliés fomentent des émeutes pour influer sur le vote et faire élire Urbain VI, le 8 avril 1378.
Il s’agit du premier pontife italien depuis que la papauté s’est installée à Avignon. Son élection s’est faite sous la pression de la rue, mais les cardinaux l’ont choisi pensant que, peu puissant, il ne remettrait pas leurs privilèges en jeu. À peine élu, Urbain VI se brouille avec les cardinaux d’Avignon en voulant leur imposer de vivre conformément à l’Évangile, en réduisant leur train de vie, en renonçant à leurs pensions et en investissant dans la restauration de l’Église. Les membres du Sacré Collège, en majorité français, habitués aux fastes et aux intrigues de couloirs grâce auxquels ils ont pu accéder à leurs charges si rémunératrices, voient d’un très mauvais œil ce pape moralisateur163.
Urbain
VI (gravure du
XVIIe).
Ils contestent son élection sous la pression de la population romaine en insurrection. Profitant de sa brouille avec la reine de Naples, ils se réunissent à nouveau à Naples et le somment d’abdiquer le 2 août164. Le 18 septembre, à Rome, Urbain VI nomme 29 nouveaux cardinaux dont 20 italiens164. Les cardinaux français disposent d’un puissant réseau d’influence, très introduit à la cour de Charles V de France (le Saint-Siège est l’épicentre diplomatique de l’Occident)165. Les cardinaux contestataires obtiennent d’abord le soutien de la reine Jeanne de Naples (issue de la maison d’Anjou et opposée aux Visconti depuis la guerre des guelfes et des gibelins)166. Ils font jouer leurs réseaux d’influence et réussissent à convaincre les conseillers de Charles V, puis le roi lui-même, de la non-validité de l’élection d’Urbain VI. Le roi adresse son accord aux cardinaux rebelles le 6 octobre 1378. Ceux-ci, très bien renseignés et 15 jours avant réception de cette lettre confirmant l’accord du roi, élisent Clément VII (1378-1394) lors d’un conclave à Fondi, dans la région de Rome. Ce pape français n’ayant pu s’imposer en Italie s’installe à Avignon en 1379164. L’Occident chrétien se divise alors : une moitié de l’Europe reste fidèle à Rome (l’Italie du Nord, l’Angleterre, les Flandres, le Saint-Empire et la Hongrie), tandis que l’autre moitié (France, Naples, l’Écosse, duchés de Lorraine, d’Autriche et de Luxembourg) en tient pour le pape d’Avignon. Le territoire de la Suisse actuelle est particulièrement touché de par sa situation entre les blocs et son morcellement politique. Dans la plupart des diocèses suisses, il y a alors deux évêques d’obédience opposée167. Les royaumes espagnols restent neutres dans un premier temps mais réclament un concile164. Par son soutien à Clément VII, Charles V est largement responsable du schisme puisque sans son appui, l’antipape n’aurait eu aucune légitimité.
Le complot de 1378
Depuis la défaite de Cocherel en 1364, les désirs de Charles de Navarre de ceindre la couronne de France sont compromis. Il se tourne alors vers l’Espagne, et a de longs démêlés avec Pierre le Cruel et Henri de Trastamare, qui se disputent la Castille. Engagés contre le roi de Castille Henri II, dit Henri de Trastamare (qui sera empoisonné en 1379 à son instigation), les troupes du Navarrais défaites n’ont d’autre issue que d’appeler les Anglais à la rescousse168. C’est une aubaine pour le jeune Richard II d’Angleterre, qui comprend aussitôt l’intérêt d’une telle alliance. Le roi de Navarre, qui possède le comté d’Évreux et le Cotentin, peut, en contrepartie de renforts, mettre à la disposition des Anglais le port de Cherbourg. L’accord est conclu en février 1378. En échange d’une troupe de 1 000 hommes (500 archers et 500 hommes d’armes), Charles de Navarre cède Cherbourg à Richard II pour trois ans168.
En fait, la pierre d’achoppement entre le Valois et le Navarrais est celui de la souveraineté sur la Normandie. C’est en effet l’un des principes importants de gouvernement pour Charles V. Il est prêt à passer sur les turpitudes passées de son beau-frère, pour peu que celui-ci se reconnaisse comme vassal du roi de France pour ses terres de Normandie. C’était en substance la signification des accords de 1371, où Charles de Navarre avait prêté l’hommage lige. Cela, Charles de Navarre, qui s’est toujours considéré comme spolié de la couronne de France, ne peut le tolérer169. En ouvrant les portes de la Normandie aux Anglais, il remet en cause ce principe de souveraineté, ce qui ne peut être toléré par Charles V et ses conseillers168.
Fin mars 1378, le comte de Foix, qui dispose d’un efficace réseau d’espions, informe Charles V que son cousin Navarre négocie un accord secret avec les Anglais169. Grâce à ces informations, le chambellan de Charles le Mauvais, Jacques de Rue, est arrêté alors qu’il se rend à Paris. La perquisition de ses effets permet de découvrir les instructions confiées par son maître. Le Navarrais, écarté des affaires françaises depuis 1364, n’a pas pu faire grand-chose contre les exactions continues des garnisons anglo-gasconnes qui défendent depuis 1355 ses forteresses normandes. Grâce à sa politique énergique contre les Grandes Compagnies et les occupants anglais, c’est Charles V qui apparaît comme le protecteur et donc le souverain de la Normandie170. L’occasion est belle de mettre Charles de Navarre hors d’état de nuire et de récupérer ses possessions normandes. Pour que cette réaffirmation de souveraineté soit bien acquise par tous, il importe de bien mettre à jour les griefs que la couronne a contre le Navarrais : il y aura donc un grand procès avec le plus de publicité possible171. Pris au piège, le chambellan passe aux aveux. Outre l’affaire de Cherbourg, Jacques de Rue confesse un projet de mariage entre Richard II et une infante de Navarre, confirme la rumeur du complot visant à empoisonner Charles V172.
La réaction est alors foudroyante : la trahison et la tentative de régicide étant clairement établies, toutes les possessions de Charles de Navarre sont attaquées simultanément. En Normandie, les hommes de du Guesclin investissent tour à tour Conches, Carentan, Mortain, Avranches168. La forteresse de Bernay, tenue par Pierre du Tertre, le secrétaire du Navarrais, résiste un temps. Mais ce dernier n’a d’autre idée que d’obtenir une reddition honorable et de sauver sa vie. Il rend les armes le 20 avril. Mais Cherbourg résiste et reste aux mains des Anglais. Le 20 avril, Montpellier, possession du roi de Navarre depuis 1371, est occupée par les troupes royales, alors que les Castillans se préparent à attaquer Pampelune, capitale du royaume navarrais.
Tout l’édifice de Charles le Mauvais s’effondre en même temps que ses rêves de pouvoir. L’épreuve n’est pourtant pas finie. Le roi de Navarre doit encore essuyer l’humiliation du procès de ses hommes de confiance et la révélation publique de ses crimes. Cependant, Charles V veille à ne pas s’aliéner les Navarrais : il rencontre l’infant Charles à Senlis. Ce dernier, comme doit le faire un seigneur loyal, prend la défense de Jacques de Rue. Le roi l’avertit que les châteaux de son père vont être saisis, mais que l’infant ne sera pas privé du revenu de ses terres168.
Le procès de Jacques de Rue et de Pierre du Tertre s’ouvre en juin devant le Parlement171. Outre les aveux du chambellan, les hommes de Charles V ont découvert dans la tour de Bernay d’autres éléments à charge ; documents codés destinés aux Anglais, instructions pour la défense des places normandes, ordre de ne point se rendre aux Français. Les Navarrais plaident la fidélité à leur roi et rejettent les accusations de trahison et de lèse-majesté. C’est faire peu de cas du serment de 1371, par lequel Charles le Mauvais a promis « foi, loyauté et obéissance » à Charles V. Les juges n’acceptent pas cette défense et, le 16 juin, condamnent à mort les deux hommes. Après que le roi de France eut refusé leur grâce, les condamnés sont décapités, leurs têtes sont exposées au gibet de Montfaucon, leurs membres en huit points de Paris173.
Charles de Navarre a définitivement perdu son duel contre Charles V. Il est à présent isolé, dépossédé de ses biens et lâché par ses sujets, las de payer pour des desseins aventureux qui ne les concernent guère. Après avoir trahi tous les partis à la fois, il s’est fait tant d’ennemis qu’il est forcé pour se tirer d’affaire d’abandonner une portion de ses États (1379). Ainsi, le plus résolu des ennemis des Valois tombe dans une déchéance qui va l’obliger, jusqu’à sa mort en 1387, à vivre d’expédients et d’emprunts. Instruit enfin par l’adversité, il passe ses dernières années en paix, ne s’occupant plus que de l’administration de son royaume.
Le fait de Bretagne
Les Anglais ne contrôlent plus que quelques ports tels Calais, Bordeaux, Bayonne. Par contre, ils gardent le contrôle de plusieurs places fortes en Bretagne et en particulier Brest et d’où ils mènent des attaques répétées sur Saint-Malo. La prise d’un nouveau port est inacceptable pour Charles V. Aussi le roi et sa cour décident-ils de confisquer le duché. Jean IV a été chassé de Bretagne depuis 1373. Il n’a remis les pieds sur le continent que pour participer à des raids ou des chevauchées anglaises. Jean IV ayant été déconsidéré par les Bretons, Charles V peut penser que ces derniers réagiront comme les Normands en cas de confiscation du duché. Ceci se fait en toute transparence, et elle est annoncée après un jugement rendu par la cour des pairs le 18 décembre 1378174. Louis Ier d’Anjou est nommé lieutenant du roi en Bretagne175. Mais le duché n’aspire qu’à la neutralité et les barons se refusent à livrer leurs châteaux aux rois. Le 25 avril 1379, ils constituent une ligue qui met sur pied un gouvernement provisoire et rappelle Jean IV avec l’aval de Jeanne de Penthièvre176. Le gouvernement est formé de 4 maréchaux et de 4 responsables des affaires civiles dont la mission prioritaire est de prélever des fonds (via une taxe de 1 franc par foyer) pour lever une armée destinée à défendre le duché. Jean IV débarque le 3 août 1379 sur la plage de Saint-Servant, accueilli par une foule enthousiaste175 : il s’agit d’un des moments historiques fondateurs de l’identité bretonne. Charles V ne peut que constater la volonté d’autonomie du duché et il sait que sans l’approbation de la population, une conquête militaire n’aurait aucun résultat à long terme175. Il ne veut pas prendre le duché de force. Il meurt avant la fin des tractations, et ce sont ses frères qui signent le deuxième traité de Guérande qui reconnaît Jean de Montfort comme duc de Bretagne, contre l’hommage prêté au roi de France, le versement d’une indemnité et le renvoi des conseillers anglais, mettant définitivement fin au conflit le 4 avril 1381177.
Mort de Charles V
Ordonnance du roi Charles
V fixant la majorité des rois de France à 14 ans et l’organisation de la régence,
Archives nationales.
La reine meurt le 6 février 1378, après avoir mis au monde Catherine. Selon tous les chroniqueurs de l’époque, le roi est très affecté car, bien que leur mariage ait été arrangé, l’amour que se portait le couple royal n’en était pas moins sincère159. Le corps de la reine est inhumé à Saint-Denis à côté de la place prévue pour le roi. Son cœur est, lui, conservé dans l’église des célestins159.
Voyant son état de santé décliner (il était probablement atteint de tuberculose pulmonaire), Charles V prépare sa succession. Par l’ordonnance de Vincennes (1374), il fixe la majorité des rois de France à leur quatorzième année, donc à 13 ans.
En 1379, le Languedoc se révolte contre les impôts devenus de plus en plus lourds. En effet, la diminution de la démographie entraîne une hausse des taxes : un fouage de 12 francs par foyer est décidé178. Or, cette province est l’une des dernières encore saignées par les Grandes Compagnies lesquelles tiennent encore quelques forteresses du Massif central. À Nîmes, les commissaires envoyés par Louis d’Anjou sont massacrés179. Ce dernier réagit par une démonstration de force : les Nîmois doivent supplier publiquement sa clémence (il les a fait condamner à mort) pour qu’il commue leur peine en une amende de 130 000 francs180.
Le roi Charles est plus clément. Il institue l’appel contre les abus, crée la Chambre du Trésor, et supprime des impôts lourds en 1379 par souci d’apaisement180.
Son conseiller Philippe de Mézières essaye d’organiser une croisade qui serait menée par Charles, mais le roi la refuse, arguant de sa mauvaise santé. En fait, il a décidé qu’il n’épuiserait pas les forces du royaume régénéré par une quête chimérique.
Détail du gisant de Charles
V à la
basilique Saint-Denis, aux côtés du monument aux entrailles de Jeanne de Bourbon.
Charles V meurt le 16 septembre 1380 à Beauté-sur-Marne, sa résidence préférée, affaibli par la mort de sa femme survenue deux ans plus tôt. Le roi succombe vraisemblablement à un accident coronarien aigun 2, en pleine épidémie de peste, loin de ses fils Charles et Louis qui ont été mis à l’abri à Melun182.
Sa dépouille fut divisée en trois parties : le corps allant à Saint-Denis, les entrailles aux côtés de sa mère Bonne de Luxembourg à l’abbaye de Maubuisson (le gisant du tombeau aux entrailles, daté de 1374, est aujourd’hui conservé au musée du Louvre), et le cœur à la cathédrale de Rouen (Charles V, qui était avant tout duc de Normandie, opère ainsi un placement stratégique de ses restes, dans une région dont la souveraineté est fréquemment contestée par la couronne anglaise. Commandé en 1368 au sculpteur Jean de Liège, le tombeau du cœur a été détruit en 1737, mais est connu par un dessin de la collection Gaignières183). Son corps est inhumé avec celui de sa femme Jeanne de Bourbon dans la basilique de Saint-Denis. Son épitaphe est le suivant : « Cy gist le roy Charles le Quint, sage et éloquent… »184 Le gisant avait été commandé de son vivant (en 1364), au sculpteur André Beauneuveu. Sa tombe, comme celle de tous les princes et dignitaires reposant en la basilique, fut profanée par les révolutionnaires en 1793.
Son fils Charles VI lui succède, mais il est trop jeune pour gouverner, ses oncles se partagent donc le pouvoir, jusqu’à son émancipation en 1388.
Restauration de l’autorité royale
Le plus grand défi du règne de Charles V est de restaurer l’autorité de la couronne après les événements de 1357-1358. Le Royaume est aux mains des Grandes Compagnies et en état de non droit. La monnaie, longtemps garantie par les Capétiens, est en chute libre jusqu’en 1360. Les pillages récurrents, l’insécurité des routes par les pillards (surnommés eux-mêmes écorcheurs, routiers, tard-venus62) et l’insécurité monétaire entravent le commerce ; l’économie est au plus mal. Enfin, les défaites s’enchaînent depuis le début de la guerre de Cent Ans et le règne de Jean le Bon, qui doit se défendre des complots ourdis par Édouard III et Charles le Mauvais, est marqué par l’arbitraire : les Valois n’ont plus aucune autorité.
Relance économique
Le franc n’est pas une invention de Charles mais de son père et de son conseil. Prisonniers à Londres, Jean le Bon et ses conseillers constatent les bienfaits d’une monnaie forte. Ils préparent donc les réformes nécessaires et Jean le Bon crée le franc, le 5 décembre 1360, sur le chemin du retour à Paris185. Il s’agit d’une monnaie à très forte teneur en or (3,88 grammes d’or fin), valant une livre et dont le nom indique qu’il ne s’agit pas d’une monnaie au titre dévalué186. Il montre le roi chargeant à cheval dans la droite ligne de l’idéal chevaleresque : l’objectif est de restaurer l’autorité royale en mettant fin aux mutations monétaires qui ont entraîné de nombreuses dévaluations pendant toute la première moitié du XIVe siècle102. Une monnaie forte constitue la demande principale des états généraux, illustrée par la théorie élaborée par Nicolas Oresme. L’abandon des mutations monétaires prive l’État d’une source importante de revenus. Pour payer la rançon, le conseil du roi compte sur la fiscalité indirecte : l’ordonnance de Compiègne du 5 décembre 1360 institue une taxe de 5 %, prélevée sur tous les échanges187. Ce choix favorise la noblesse qui n’est pas touchée par cet impôt et plus généralement les propriétaires fonciers (clergé, noblesse et grand patriciat urbain) dont les revenus sont calculés en monnaie de compte. En revanche, le commerce, l’agriculture et l’industrie sont durement pénalisés et l’économie est ralentie par cette mesure. De la même manière, les locataires et paysans qui doivent payer aux propriétaires une somme fixe sont très pénalisés par le renforcement monétaire.
Franc à cheval du Dauphiné à légende fautée sous Charles
V le Sage.
Le
franc à pied représente le roi Charles
V couronné debout sous un dais gothique, tenant une épée et la main de Justice.
Charles V, en garantissant la stabilité du franc188, favorise au contraire les échanges. Il se porte ainsi garant de la stabilité monétaire et met fin aux mutations tant décriées102. En contrepartie, il fait accepter la création d’une fiscalité contrôlée par des officiers royaux pour financer l’effort de guerre et le paiement de la rançon de Jean le Bon102,189. Et surtout, elle se trouve justifiée par ses effets sur le terrain : l’armée permanente que les impôts financent débarrasse le pays des Grandes Compagnies, ce qui relance les échanges. Il recourt en plus à des aides, au fouage qui touche les foyers : cette fiscalité a une assiette plus large et pénalise moins les échanges190. Charles V continue cette politique de stabilité monétaire et rend permanente une fiscalité initialement provisoire et renégociée tous les ans aux états généraux191.
Christine de Pizan note que Charles V applique une politique de grands travaux (surtout des fortifications) qui crée du travail (évitant donc les émeutes ou que des vagabonds aillent grossir les rangs des Grandes Compagnies) et permet de réinjecter des liquidités dans l’économie192. Au total, il relance l’économie en quelques années et peut compter sur des entrées fiscales très abondantes : 1,6 million de Francs par an.
Un nouveau mode de gouvernement
Témoin des malheurs causés par la captivité de son père, Charles V se fait une loi de ne point commander ses troupes en personne et dirige tout du fond de son cabinet. Il a pour généraux Olivier de Clisson, Bertrand du Guesclin, qu’il fait connétable de France le 2 octobre 1370, et Jean de Boucicaut, lesquels l’aident à reconquérir la quasi-totalité du royaume. Charles le Sage est un gestionnaire, un diplomate, un juriste. Rendu prudent et réfléchi par les épreuves de sa jeunesse, il sait s’appuyer sur de bons conseillers : Jean et Guillaume de Dormans, Pierre d’Orgemont sont ses chanceliers successifs. Nicolas Oresme est aux Finances. Participe également à son conseil Pierre Aycelin de Montaigut, évêque de Nevers, puis, à partir de 1370 évêque-duc de Laon, qu’il utilise parfois comme ambassadeur. Ainsi, en 1368, il envoie le futur cardinal de Laon auprès du pape Urbain V. En 1379, Montaigut joue un rôle important dans le soutien apporté par la France à l’antipape Clément VII.
Décentralisation
La politique des apanages a été imaginée comme une décentralisation pour améliorer la gestion des provinces éloignées de la capitale. Ces dernières sont possédées par la famille proche du roi, et reviennent à la couronne en l’absence d’héritier mâle, ce qui évite d’en perdre le contrôle après un mariage. Les princes reçoivent leurs finances des impôts permanents récoltés par le roi, ce qui permet à celui-ci de les garder théoriquement sous contrôle. Chaque apanage lève une armée comprenant chevaliers et troupes envoyées par les villes, voire des paysans, et peut ainsi chasser les Grandes Compagnies qui ravagent le pays et relancer l’économie. Dans un deuxième temps, les impôts rentrant, ces armées sont professionnalisées et soldées en permanence, ce qui permet la reconquête des terres concédées au traité de Brétigny. L’autorité du roi et des princes en sort donc renforcée et les levées d’impôts sont justifiées.
L’État de droit
Comme la stabilité monétaire, la Justice est l’un des points marquants du règne de Saint Louis, qui est la référence pour l’époque. Charles V remet donc le droit au centre de son mode de gouvernement : il s’entoure de juristes et fait appel à la Cour de justice pour rendre certaines décisions. Il garantit ainsi l’équité à ses sujets, et restaure l’autorité royale. Il matérialise la séparation des pouvoirs entre gouvernement et administration en quittant le palais de la Cité qu’il laisse aux juristes, emmenant sa cour à l’hôtel Saint-Pol, au Louvre ou au château de Vincennes, ce dernier lieu devenant une véritable cité administrative193. Il tranche ainsi avec l’arbitraire du règne de son père. C’est grâce à une décision de la Cour de justice qu’il peut confisquer la Guyenne aux Anglais et par une autre qu’il se débarrasse des Melun.
Ordonnance sur les forêts
Dès le XIIIe siècle, on prend conscience de l’importance des forêts194. D’une part, le bois se raréfie et se renchérit du fait des défrichages intensifs réalisés en Occident depuis le Xe siècle. Le bois est, au début du Moyen Âge, le principal combustible et matériau de construction195, disponible aisément à proximité immédiate et facile à transporter par flottage. Le renchérissement du bois a conduit à une utilisation plus systématique de la pierre pour la construction et le charbon comme combustible industriel196 (principalement pour les forges). D’autre part, la forêt menace de ne plus remplir son rôle nourricier pour la population et de terrain de chasse pour la noblesse. Les autorités prennent donc des mesures pour mieux contrôler les défrichages. Charles V s’inscrit dans cette démarche en promulguant en 1376 une ordonnance de 52 articles sur les forêts, élaborée sur son ordre par la Chambre des comptes après une enquête minutieuse197. Les forêts royales sont confiées à 6 maîtres forestiers devant inspecter 2 fois par an les forêts dont ils ont la charge197. Ils doivent en décrire l’état et en présenter la situation comptable à la Chambre des comptes, y compris les amendes perçues par leurs sergents197. Ils sont payés 400 livres annuelles et en livraisons de bois197. À l’échelon subalterne sont institués des gruyers et des verdiers (gardes forestiers). Une exploitation forestière régulière placée sous haute surveillance est aussi instituée197.
Politiquement, l’affaire a aussi pour objet de débarrasser le Conseil du roi des Meluns (ils y sont depuis Jean le Bon) devenus trop puissants politiquement pour que Charles V puisse les évincer. Les habitants de Sens, utilisant les recours judiciaires permis par la mise en pratique de l’État de droit par le roi, portent plainte devant le Parlement de Paris contre des abus de pouvoir de la part de Jean de Melun, qui avait récupéré la charge de souverain des eaux et forêts. Les communautés villageoises bénéficiaient depuis des temps immémoriaux du droit d’usage de ses bois (pâture, ramassage des branches mortes, charbon de bois, glanée…) ; or les gardes forestiers, protégés par des commissions royales délivrées par l’archevêque Guillaume de Melun, les saisissaient, les mettaient aux fers et les soumettaient à rançon198. L’arrêt de la cour de justice royale tombe le 31 août 1375 : les droits d’usage sont restitués aux communautés, la justice temporelle de l’archevêché est confisquée par le roi et Jean de Melun se voit retirer sa charge de souverain des eaux et forêts198. Les Melun sont alors écartés du pouvoir et l’autorité royale en sort une fois de plus renforcée, montrant qu’elle est juste et que, s’appuyant sur le droit, elle ne privilégie pas les puissants.
Naissance du sentiment national
Jusqu’à cette époque, il était possible d’annexer des portions énormes d’un territoire étranger, c’est ce que fait Édouard III au traité de Brétigny. Mais, alors que le roi d’Angleterre en est resté au concept féodal qui veut que le pouvoir se résume à une simple pyramide féodale, le fait de recevoir l’hommage pour une terre suffisait pour en être souverain ; Charles V est éclairé par le discrédit initial des Valois et les événements de 1357 et 1358 : il ne suffit pas d’occuper une terre, il faut que ses habitants veuillent reconnaître le nouveau propriétaire comme souverain. Dès lors, la reconquête se fait avant tout en convainquant les territoires de rejoindre le royaume de France, en octroyant par exemple des facilités fiscales aux villes susceptibles de tourner français. Ces mesures conciliatrices contribuent à rendre populaire la couronne, d’autant que, depuis le siège de Paris, le dauphin a pris le parti d’éviter si possible de prendre les villes d’assaut, car les pillages qui s’ensuivent habituellement sont très délétères pour l’image du roi. Il n’hésite pas, par exemple, à payer rubis sur l’ongle la reddition des troupes qui défendent le château de Saint-Sauveur-le-Vicomte, quand les troupes anglaises se livrent à un massacre envers la population de Limoges qui a osé laisser entrer les troupes françaises. Les Anglais ne peuvent être perçus que comme les occupants.
À l’inverse, la reconquête s’arrête à Bordeaux et Calais, sachant que pour des raisons économiques ces villes sont farouchement pro-anglaises (Bordeaux exporte massivement son vin en Angleterre et toute la laine anglaise à destination du continent passe par Calais199). Édouard III, lui, impose en 1361 l’anglais comme langue nationale (jusqu’à cette date, la langue officielle à la cour anglaise était le franco-normand)200 ; cette mesure renforce en retour l’anglophobie dans les territoires conquis. De la même manière, Charles V souhaite que la couronne rassemble l’ensemble des patries du territoire (à cette époque chaque région est une patrie) et que Paris en soit le liant matériel. Cette nouvelle vision de la souveraineté est une évolution très nette vers le concept de nation. Le désir d’appartenance nationale à la France est l’un des facteurs qui permet la résolution du conflit en 1475 : l’annexion de territoires de l’adversaire étant perçue comme vaine par les belligérants.
L’image du roi
Le roi sage
À l’époque, la noblesse doit conjuguer richesse, pouvoir et bravoure sur le champ de bataille : vivant du labeur paysan, le maître se doit de manifester sa largesse en entretenant la masse de ses dépendants201. Privé de prouesses sur les champs de bataille du fait de l’infirmité dont souffre sa main droite191, Charles V doit faire montre de noblesse autrement. Les chroniqueurs et ses hagiographes sont marqués par ce roi qui reconquiert par la sagesse ce que ses prédécesseurs ont perdu sur les champs de bataille. Jean Froissart écrit : le roi Charles « fut rudement sage et subtil et il le montra bien tant qu’il vécut. Car tout coi, en étant dans sa chambre et ses déduits, il reconquérait ce que ses prédécesseurs avaient perdu sur les champs, la tête armée et l’épée à la main. Ce dont il [est] grandement à louer. » Christine de Pizan n’est pas en reste : « Ce roi, par son sens sa magnanimité, sa force, sa clémence et sa libéralité, désencombra son pays de ses ennemis tant qu’ils n’y firent plus leurs chevauchées. Et lui, sans se mouvoir de ses palais et sièges royaux, reconquit, refit et augmenta son royaume qui, auparavant avait été désolé, perdu et dépris par ses devanciers portant les armes et très chevalereux. »202
La monarchie de droit divin
Le roi et ses conseillers ancrent l’idée que le roi est de droit divin ce qui élimine définitivement toute contestation de la légitimité des Valois par les Anglais ou les Navarrais. Il s’agit de bâtir l’image d’un roi sage, à la fois saint et savant et aussi d’une nouvelle vision de la monarchie. Le Songe du Vergier, ouvrage attribué à Évrart de Trémaugon203, est inspiré directement par Charles V et contribue à peindre cette image de roi qui s’efface derrière les institutions et les officiers. L’auteur y passe en revue toutes les affaires du règne sous la forme d’un dialogue et détaille les arguments qui font du roi un personnage hors normes204. Il écrit : « Qui doutera que le très puissant roi de France ne soit ordonné et établi de par Dieu ? »
Le roi s’insère dans la sainte lignée de saint Louis et modèle sur lui son existence publique. Les clercs de son entourage mettent en valeur l’aspect religieux de la cérémonie du sacre, ils recueillent et diffusent les récits de miracles que cette idée fait naître191. Le sens du sacre, de l’onction et de la guérison des écrouelles est explicité à la demande du roi par le carme Jean Golein dans le Traité du Sacre pour prouver l’origine divine de la monarchie204.
… et les nouvelles décidées par Charles V.
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La décoration des différents logis du roi fait appel à force images saintes, les salles sont emplies de reliquaires, de statuettes ou de tableaux figurant la Vierge ou des saints : il convient de rappeler que le pouvoir du roi est d’origine divine205. Il est fait une large place à la Trinité jusque dans les armoiries royales de France qu’il fait changer : à l’origine, l’écu royal est un semis de fleurs de lys dont le nombre n’était pas déterminé. Charles V le simplifie et prescrit le nombre précis de trois fleurs de lys. On distingue désormais les armes de France anciennes et les armes de France modernes : la plupart des grands seigneurs et villes arborant des fleurs de lys adoptent cette nouvelle norme.
La prestance royale
Il veille à s’exprimer avec magnificence et manifeste un goût pour le luxe191. Les journées du roi sont codifiées par des rituels cérémonieux, qui seront imités en Bourgogne puis en Espagne pour donner la rigide étiquette des Habsbourg206. De la même manière, lors de la visite de son oncle l’empereur Charles IV, tout est fait pour que le roi soit l’égal de l’empereur : le roi de France est empereur en son royaume. Ainsi Charles IV doit entrer dans les villes françaises sur un cheval noir, alors qu’il le fait sur un cheval blanc en terre d’Empire, tout l’apparat est présent, mais l’empereur entre en visiteur de marque et non en souverain.
Il prend comme symbole le lion, qui est roi des animaux, le sigle de saint Marc, et celui des rois de Bohême dont il descend (il est petit-fils de Jean l’Aveugle). Il reste très proche de son oncle, l’empereur Charles IV. Il fait installer à l’hôtel Saint-Pol ou au Louvre des ménageries où figurent des lions et qui ont un grand succès dans la capitale207. Il veille à ce que son image soit partout : il figure sur le franc à pied (la monnaie), sa statue est placée en différents points de Paris…
Arts et architecture
Durant le règne de Charles V, le soutien des arts et de l’architecture tient une large place. Il s’agit d’un moyen de figurer la restauration de l’autorité royale208. La construction d’un puissant et très haut donjon, au château de Vincennes, où il crée une cité administrative, symbolise l’autorité royale. À l’instar de ses prédécesseurs, il fait ériger au château de Vincennes une Sainte Chapelle qui reçoit une épine de la couronne du Christ209. Cela est prestigieux à double titre : c’est un clair rappel au règne de Saint Louis qui est la référence de l’époque et cela matérialise la proximité entre la puissance divine et la couronne de France. Les constructions royales sont pratiquement toutes réalisées à Paris et dans ses environs : la capitale matérialise l’unification du royaume par la couronne209. Il cherche d’ailleurs à obtenir que la capitale devienne un archevêché (et non plus un évêché dépendant de l’archevêque de Sens), mais Grégoire XI se méfie du risque de voir l’Église gallicane prendre plus d’autonomie et refuse. L’image du roi est partout : on trouve des statues du souverain au Louvre, au Châtelet, sur le portail des célestins, à la Bastille, ce qui constitue à l’époque une nouveauté210.
Les grands travaux ont un rôle utilitaire : l’extension des fortifications parisiennes ou la mise en service du premier égout de Paris rue Montmartre par Hugues Aubriot, en 1370, font partie des aménagements rendus nécessaires par l’accroissement rapide de la population parisienne. La construction de fortifications matérialise l’action du roi contre les exactions des Grandes Compagnies ou les raids anglais, comme les égouts matérialisent son action contre l’insalubrité qui est grande partie responsable de la propagation d’épidémies récurrentes. Cela valide dans l’opinion la bonne utilisation des ressources que procure l’instauration d’un impôt permanent. Christine de Pizan note que ces investissements massifs font partie d’une politique de grands travaux destinée à relancer l’économie. En effet, Charles V, qui a pu constater la menace que peut constituer les hommes désœuvrés qui se regroupent en place de grève, leur donne ainsi du travail. Leurs salaires sont dépensés, et créent ainsi de l’activité.
Places fortes et fortifications
Sa régence et son début de règne étant marqués par les désordres dus aux Grandes Compagnies et par la menace de chevauchées anglaises, il fait améliorer les fortifications des villes qui pourraient être attaquées et raser celles qui pourraient être prises pour éviter qu’elles ne soient utilisées par les compagnies.
Charte de Charles
V faisant défense d’aliéner l’hôtel Saint-Paul, juillet 1364.
Archives nationales AE/II/383.
En 1356, Étienne Marcel fait construire de nouveaux remparts autour des quartiers situés au nord de la Seine ; cependant cet imposant travail s’arrête avec sa mort en 1358. Charles V, fidèle à sa stratégie de la terre déserte, veut améliorer les fortifications de la ville et continue l’œuvre du prévôt. Sur la rive gauche, pour protéger Paris des Anglais, il fait couronner de créneaux l’enceinte dite « de Philippe Auguste ». Sur la rive droite, il fait construire un nouveau rempart, dit « de Charles V », dont la construction s’achèvera en 1383. Les fortifications rive droite ont un tracé long de 5 kilomètres et un rempart de maçonnerie aurait été hors de prix et vulnérable à l’artillerie qui vient d’apparaître sur les champs de bataille, et remet en cause l’architecture militaire médiévale211. Une solution ingénieuse est développée : le réseau de fortifications est constitué d’un ou deux fossés, puis d’un premier remblai de terre, puis un gros fossé de 12 m de large sur 4 de profondeur rempli d’eau, et enfin d’un gros remblai de terre de 25 m de large surmonté d’un petit mur. L’ensemble des fortifications fait 90 mètres de profondeur, ce qui est supérieur à la portée des machines de guerre et des bombardes de l’époque ; et les remblais sont capables d’encaisser les tirs de l’artillerie. De la même manière, les talus et le fossé inondé rendent ces fortifications très peu vulnérables aux sapeurs211.
Profondément marqué par les révoltes parisiennes de 1358, Charles V fait ériger la Bastille sur ses fonds propres211. Cette forteresse a deux fonctions : elle prévient toute invasion par la porte Saint-Antoine, protégeant aussi l’hôtel Saint-Pol, lieu de séjour préféré de la famille royale ; et, en cas d’insurrection dans la capitale, elle couvre la route qui mène au château de Vincennes qui lui sert de résidence hors de Paris211 et est sur la route du Dauphiné, fief de Charles V en terre d’Empire. Le nouveau prévôt de Paris, Hugues Aubriot (auquel on doit également l’édification du Petit Châtelet, du pont au Change et du pont Saint-Michel), est chargé d’en diriger la construction, et la pose de la première pierre intervient le 22 avril 1370. Les travaux, considérables, vont durer douze ans. Aubriot fera les frais de sa diligence à exécuter les ordres du roi. Accusé de libertinage et d’impiété pour avoir rendu à leurs parents des enfants juifs enlevés pour les convertir212, il est emprisonné à la Bastille en 1381, alors que la construction n’est pas encore terminée. Quant à Charles V, il mourait l’année précédente sans avoir pu en contempler l’achèvement.
Charles V aménage tous ses logis de manière à pouvoir les quitter facilement en cas de menace. Ainsi l’hôtel Saint-Pol jouxte les jardins du couvent des Célestins et il entretient d’excellents rapports avec les moines qui y vivent, ce qui lui garantit une sortie de secours discrète. De la même manière, il fait aménager un pont-levis au Louvre, ce qui permet de fuir précipitamment, le cas échéant213.
Résidences royales
Charles V fait faire des travaux de rénovations dans les diverses résidences royales de Saint-Ouen, Creil, Melun, Montargis et Saint-Germain-en-Laye. En 1361-1364, il fait construire l’hôtel Saint-Pol214, et fait ériger ou restaurer215 en 1373 (ou 1375) le château de Beauté-sur-Marne en bord de Marne216,217.
La librairie du roi
Charles est un patron des arts : il reconstruit le Louvre en 1367 et y fonde la première Librairie royale, qui deviendra quelques siècles plus tard la Bibliothèque nationale de France. Charles V fait aménager dans la tour de la Fauconnerie des pièces où il transfère une partie de ses livres (à l’époque 965 notices), et il confie cette bibliothèque à Gilles de Malet (1368). Parmi les manuscrits mentionnés dans les inventaires après-décès, se trouvent la Bible historiale de Jean de Vaudetar, le Psautier d’Ingeburge, Bréviaire de Belleville, le Bréviaire dit de Charles V, le Bréviaire de Jeanne d’Évreux, les Heures de Savoie, la Vie de saint Denis, les Grandes Chroniques de France de Charles V218 et l’Atlas catalan
Il entreprend une politique de vulgarisation et fait traduire en français de nombreux ouvrages scientifiques et techniques, des traités d’astrologie et d’histoire, des textes d’Aristote accompagnés des commentaires explicatifs de leur traducteur Nicolas Oresme, le Policraticus de Jean de Salisbury, le Livre des propriétés des choses de Barthélémy l’Anglais (traduit par Jean Corbechon), ou encore des œuvres religieuses comme La Cité de Dieu, de saint Augustin traduite en 1370 par le juriste Raoul de Presles, qui y ajoute ses propres commentaires et ceux de ses prédécesseurs.
Les textes latins sont traduits en français et des prêts sont accordés pour les copier. Disposée sur trois étages, la Librairie royale répond à un projet politique : elle doit former une élite administrative. Elle compte jusqu’à un millier de manuscrits.
Évolution sous ses successeurs
Apanages et principautés à la fin de la guerre de Cent Ans.
Guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons
La politique des apanages a été imaginée comme une décentralisation pour améliorer la gestion des provinces éloignées de la capitale. Ces dernières sont possédées par des familles proches du roi et reviennent à la couronne en l’absence d’héritier mâle, ce qui évite d’en perdre le contrôle après un mariage. Les princes reçoivent leurs finances des impôts permanents récoltés par le roi, ce qui permet à celui-ci de les garder théoriquement sous contrôle219. C’est dans cet esprit que Charles V fixe en 1374 la majorité des rois à treize ans et un jour (leur quatorzième année, donc), afin que son fils Charles VI prenne le pouvoir et que l’équilibre ne se rompe. Prévoyant la possibilité que son fils ne soit pas assez âgé pour gouverner, il met en place un système pour que ses frères ne puissent accaparer le pouvoir. La reine a la garde des enfants royaux, mais elle n’a pas le gouvernement du Royaume. L’aîné, le duc d’Anjou, a le gouvernement, mais pas les finances. La plus grande partie des revenus royaux est affectée aux enfants et donc à la Reine. Tout mariage des enfants ne peut se faire qu’après accord d’un conseil de tutelle comprenant les frères de Charles V, son cousin Louis de Bourbon et la reine219. Ce conseil est assisté par des fidèles conseillers de Charles V.
Mais, à sa mort en 1380, son fils Charles VI est mineur ; jusqu’en 1388, ce sont ses oncles qui se partagent la régence et donc les recettes fiscales. Dès lors, leurs principautés deviennent indépendantes de fait. C’est la lutte pour le contrôle des recettes de l’État qui entraîne la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons puis les tentatives d’indépendance de la Bourgogne, qui ne cesseront qu’avec la mort de Charles le Téméraire en 1477. Mais cette principauté composée de territoires issus de la France et du Saint-Empire devient alors un enjeu de conflits entre les Habsbourgs et les Valois. La lutte pour le contrôle de ces terres entraîne deux siècles de guerres entre la France d’une part, et l’Autriche et l’Espagne d’autre part.
Absolutisme
Constatant l’échec de la tentative de mise en place par la grande ordonnance de 1357 d’une monarchie contrôlée qu’il a soutenue au départ, Charles V opte pour un autre régime monarchique. Il est fondé sur l’État de droit (la justice étant l’un des piliers du prestige royal depuis Saint Louis), la décentralisation (via la politique des apanages) et la garantie par l’État de la sécurité physique (par l’instauration d’une armée permanente) et monétaire (par la création du franc).
Au XVe siècle, les Parisiens tentent une nouvelle fois d’instaurer un régime de monarchie contrôlée : les cabochiens, soutenus par Jean sans Peur et l’université de Paris imposent à Charles VI l’ordonnance cabochienne en 1413, qui tente de rendre vie à la grande ordonnance de 1357. Sa durée de vie sera aussi éphémère car les promesses démagogiques de fiscalité faible de Jean sans Peur ne peuvent être tenues220.
Au contraire, les monarques français financent une politique qui restaure l’autorité royale par la mise en place d’impôts permanents et l’entretien d’une armée soldée221. Le commerce en France ne pouvant se faire sans la sécurisation des axes commerciaux terrestres, la bourgeoisie finit par accepter un État fort financé par une fiscalité lourde, qui évolue progressivement vers une nécessité221.
Impôts et armée permanente
Bertrand du Guesclin à la bataille de Cocherel, dans une peinture historiciste du
XIXe siècle.
L’établissement d’une armée permanente pour éviter les pillages dus aux mercenaires démobilisés est un indéniable progrès, mais il porte atteinte à la fonction sociale de la noblesse, dont l’importance sur le champ de bataille diminue au profit de roturiers.
Durant la guerre de Cent Ans, de nombreuses révoltes paysannes et bourgeoises ont lieu en Angleterre (révolte des paysans) et en France (Jacqueries). En Angleterre, la formation de toute la population au maniement de l’arc est même une erreur : durant la révolte des paysans anglais de 1390, ce sont 100 000 paysans qui menacent Londres222. L’ordre social féodal est menacé : cette révolte est réprimée dans le sang, tout comme les Jacqueries. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’en France, sous Charles VI, la noblesse demande et obtient la suppression des Grandes Compagnies soldées instituées après décision de Charles V.
C’est son petit-fils Charles VII qui réorganise son armée de manière similaire pour pouvoir vaincre les Anglais. Il obtient progressivement des états de la langue d’oïl (1438 et 1443) puis d’oc (1439) la possibilité de reconduire les aides sans réunir les états annuellement : il réinstaure la permanence de l’impôt223. Il a alors les moyens d’entretenir une armée permanente et d’éviter que les mercenaires démobilisés ne se livrent au pillage. Il envoie le dauphin Louis à la tête de plus de 20 000 écorcheurs combattre les cantons suisses révoltés contre le duc d’Autriche. Cela lui permet de tester ses hommes et de se débarrasser des éléments douteux ou mal équipés. Beaucoup de routiers périssent face aux Suisses et aux Alsaciens224. Il renvoie ensuite un grand nombre d’éléments indésirables dans leur pays d’origine (en particulier en Espagne), ou les recycle dans l’administration, les disperse par petits groupes leur ayant accordé des lettres de rémission224. Au total, il ne retient à son service que la moitié environ des combattants225. Par l’ordonnance de Louppy-le-Châtel de 1445, il les organise en lances : unité de base où les compétences de chacun se complètent. Chacune est constituée d’un homme d’arme accompagné de deux archers à cheval, d’un coutilier (armé d’une épée et d’une longue dague), d’un page et d’un valet (ces derniers ne combattant pas en règle générale). 100 lances forment une compagnie. Les 15 compagnies totalisent 9 000 hommes, dont 6 000 combattants qui forment la grande ordonnance225. Bientôt, trois nouvelles compagnies sont créées. Cette armée est entretenue de façon permanente : elle est mise en garnison dans des villes du Royaume225. Celles-ci ont la charge de l’entretenir : le coût ne repose pas sur les finances royales. En 1448, il crée la petite ordonnance : en cas de mobilisation, chaque paroisse (cinquante feux226) est tenue de mettre à la disposition du roi un archer bien équipé et bien exercé. Pour compenser les charges qui pèsent sur lui, il est dispensé d’impôt (la taille226) : on l’appelle franc-archer. Choisi par les agents du roi, il est tenu au service de ce dernier. Le Royaume en compte environ 8 000 et possède enfin une archerie comparable à l’armée anglaise225. Grâce à une armée moderne appuyée par une véritable artillerie de campagne, il vainc définitivement les Anglais, qui en 1453 ne contrôlent plus que Calais sur le continent.
Bibliothèque nationale
Jean Corbechon, présente sa traduction du
Livre des Propriétés des choses, au roi Charles
V, œuvre initialement manuscrite par le
moine franciscain Barthélemy l’Anglais, BnF,
no Fr.16693,
no MF.19931
227.
La Bibliothèque nationale de France tire son origine de la bibliothèque du roi, constituée au Louvre par Charles V qui suscite des traductions, nomme Gilles Mallet comme garde et fait réaliser un inventaire. Toutefois, cette bibliothèque sera dispersée après la mort du roi Charles VI228.
C’est à partir de Louis XI qu’une nouvelle bibliothèque est constituée et (plus important pour la continuité de l’établissement) se transmet de roi en roi228, d’abord à Charles VIII, qui y fait entrer les premiers ouvrages imprimés, puis à Louis XII. Cette bibliothèque est installée à Amboise, puis à Blois.
En 1518, François Ier décide la création d’un grand « cabinet de livres », abrité à Blois et confié au poète de la cour Mellin de Saint-Gelais. Les progrès de l’imprimerie favorisent la publication d’un nombre croissant de livres. Il instaure, en 1537, le dépôt légal qui permet d’enrichir la bibliothèque229, dont il nomme intendant l’humaniste Guillaume Budé avec mission d’en accroître la collection. C’est en 1540 qu’il charge Guillaume Pellicier, ambassadeur à Venise, d’acheter et faire reproduire le plus possible de manuscrits vénitiens. Comme François Ier installe sa propre bibliothèque à Fontainebleau, il existe un temps deux bibliothèques royales, mais celle de Blois est déménagée à Fontainebleau dès 1544.
Imprimerie du
XVe siècle. Grâce à François
Ier, les imprimeries françaises vont se perfectionner et accroître considérablement le nombre d’ouvrages de la bibliothèque royale.
Sous Charles IX, la nouvelle bibliothèque, issue de la fusion des deux précédentes, est rapatriée à Paris. Henri IV l’installe au collège de Clermont (1594) puis au couvent des Cordeliers (1603).
La bibliothèque se développe réellement sous Louis XIV, époque qui voit de nombreuses nouveautés : installation rue Vivienne, non loin de l’actuel site Richelieu, intégration de plusieurs collections d’origine privée (Gaston d’Orléans, Michel de Maroilles, Loménie de Brienne), ouverture à la gravure et à la musique imprimée, création du classement de Nicolas Clément (utilisé jusqu’en 1996), ouverture au public (1692)228.
Le XVIIIe siècle est important pour la bibliothèque avec les réalisations de catalogues systématiques. C’est à cette époque que la bibliothèque s’installe rue Richelieu, à l’actuel emplacement du site Richelieu. Cette nouvelle implantation facilite, à partir de 1720, la fréquentation du public et la bibliothèque reçoit les visites assidues de plusieurs des philosophes des Lumières.
À la faveur du déménagement, l’organisation interne est améliorée avec la constitution de cinq départements : département des manuscrits, département des imprimés, département des titres et généalogies (plus tard intégré aux manuscrits), département des planches gravées et recueils d’estampes, département des médailles et pierres gravées228.
Les enrichissements se poursuivent, tant par un meilleur contrôle du dépôt légal, que par l’intégration de nouvelles collections particulières : collection Baluze, collection musicale de Sébastien de Brossard, bibliothèque de Colbert.
À la Révolution française, l’établissement prend le nom de bibliothèque de la Nation. Malgré quelques déprédations et limogeages, c’est une période d’enrichissements par l’intégration de fonds de provenances diverses (la bibliothèque a alors compté 240 000 livres, 14 000 manuscrits et 85 000 estampes)228 :
- de Paris : la bibliothèque a récupéré une bonne partie de ce qui se trouvait dans les dépôts littéraires de la capitale, intégrant ainsi les collections de nombreuses communautés religieuses (abbaye Saint-Victor) et une partie de celles de l’université (plus de 800 000 pièces en tout) ;
- de la province : si les fonds des dépôts littéraires provinciaux ont été la plupart du temps dévolus aux écoles centrales avant d’être attribués aux communes, la Bibliothèque de la Nation se réservait les pièces les plus remarquables, qui devaient illustrer les richesses de la France. C’est ainsi que des pièces venues des quatre coins de la France (Chartres, Amiens, Soissons) se sont retrouvées à la Bibliothèque nationale ;
- de l’étranger : au fur et à mesure des conquêtes révolutionnaires, les troupes françaises s’emparent de collections jugées utiles ou prestigieuses. Une partie en a été rendue aux pays concernés en 1814, mais la Bibliothèque en a gardé d’importants fonds228.
Au fil des changements de régimes, la bibliothèque devient Bibliothèque impériale puis bibliothèque royale, puis Bibliothèque nationale en 1848, de nouveau impériale et définitivement nationale en 1871.
L’établissement continue à être enrichi au cours du XXe siècle230 pour devenir ce qu’elle est aujourd’hui : la Bibliothèque nationale de France.
Gallicanisme
Le règne de Charles V est marqué par l’affirmation du royaume de France comme un État souverain et indépendant du Saint-Empire ou de l’Église. Depuis Philippe le Bel, le royaume s’émancipe de la tutelle que le souverain pontife aurait voulu imposer sur l’Occident. Le grand schisme d’Occident va grandement contribuer à affirmer l’autonomie du royaume de France vis-à-vis du Saint-Siège. Charles V a toujours veillé à ce que l’État ne dépende pas de l’Église, dissociant bien ses convictions religieuses et la politique. En soutenant Clément VII, l’objectif est surtout d’avoir un (anti)pape pro-français dans sa lutte contre le royaume d’Angleterre, Mais le schisme a des conséquences bien plus importantes pour les rapports entre le royaume et Rome.
Déjà, pendant le gouvernement des oncles, les tentatives de soustractions d’obédiences menées par Philippe le Hardi soutenu par l’université de Paris aboutissent à une indépendance de fait de l’église de France entre 1398 et 1403231. Un grand pas est alors fait vers le gallicanisme.
Plus tard, la résolution du schisme par le conciliarisme affaiblit la papauté et permet à Charles VII de s’imposer en 1438 comme le chef naturel de l’Église de France, qui entre ainsi dans l’ère du gallicanisme232. Dans son préambule, la Pragmatique Sanction de Bourges dénonce les abus de la papauté. Dans son premier article, elle déclare la suprématie des conciles généraux sur le Saint-Siège et limite les pouvoirs du pape. Ainsi la libre élection des évêques et des abbés par les chapitres et les monastères est rétablie : elle supprime les nominations par le Saint-Siège et son droit de réserve. La royauté obtient de pouvoir « recommander » ses candidats aux élections épiscopales et abbatiales auprès des chapitres. L’ordonnance de Bourges établit aussi des juridictions permettant de limiter les appels (souvent onéreux) faits à Rome. Enfin, elle fixe un âge minimum pour devenir cardinal, réduit la possibilité du pontife de lever un certain nombre d’impôts (suppression des annates) et restreint les effets de l’excommunication et de l’interdit.
Fin politique, Charles VII réussit ce que Philippe le Bel a vainement tenté de réaliser. Bien que se référant à Rome, l’Église de France acquiert une grande autonomie. Le roi s’assure la loyauté du clergé français.
Généalogie
Ascendance
Charles V est issu de la branche royale des Valois de la dynastie capétienne. Charles V fut le premier roi à se donner un numéro d’ordre, « qui faisait de lui un héritier233 ».
Il est le fils de Jean II dit le Bon et de Bonne de Luxembourg, fille du roi Jean Ier de Bohême et sœur de l’empereur Charles IV. Il est le frère de Louis Ier, duc d’Anjou, de Jean Ier, duc de Berry et de Philippe II, dit le Hardi, duc de Bourgogne.
Descendance
Marié à Jeanne de Bourbon, avec laquelle il partage des liens de consanguinité234, le 8 avril 1350 ; il a huit enfants dont deux seulement atteignent l’âge adulte.
- Jeanne (1357-1360), morte en l’abbaye de Saint-Antoine-des-Champs, et inhumée en l’église abbatiale, dans le même tombeau que sa sœur cadette, Bonne de France, décédée quelques jours après ;
- Bonne (1360-1360), inhumée en l’église abbatiale de Saint-Antoine-des-Champs, dans le même tombeau que sa sœur aînée, Jeanne de France. La tête de son gisant, seul vestige du tombeau, est conservé au musée Mayer van den Bergh d’Anvers ;
- Jean (1366) ;
- Charles (1368-1422), roi de France sous le nom de Charles VI à la mort de son père en 1380 ;
- Marie (1370-1377), accordée par traité en 1373235 et par contrat de mariage ratifié en 1375236 avec Guillaume d’Ostrevant (futur Guillaume II, duc de Bavière-Straubing, alias Guillaume IV, comte de Hainaut) ;
- Louis (1372-1407), d’abord duc de Touraine en 1386 puis qui reçoit en 1392 le duché d’Orléans en apanage sous le nom de Louis Ier ;
- Isabelle (1373-1378) ;
- Catherine (1378-1388) qui devient comtesse de Montpensier en 1386 à la suite de son mariage (non consommé) avec Jean de Berry, comte de Montpensier, fils et héritier de Jean, duc de Berry ;
Charles V aurait eu deux bâtards :
Généalogie simplifiée
Aspect physique et personnalité
Portrait de Charles
V figurant dans une lettre C ornée au début d’une charte royale datée de 1367. Paris, Archives nationales, J/358/12.
Portant les séquelles d’une maladie de jeunesse contractée en 1349n 3, il n’est pas si chétif qu’on l’a écrit (73 kg en 1362 après une longue maladie et 77,5 kg en 1368n 4), mais sa santé fragile l’écarte des tournois et des champs de bataille : sa main droite est si enflée qu’il ne peut manier d’objets pesants191. Il n’en a pas moins un sens aigu de la majesté royale. Il a l’esprit vif, et il est proprement machiavélique : sa biographe Christine de Pizan le décrit « sage et visseux » (retors) et Jean de Gand le qualifie de « royal attorney191. » Son tempérament tranche avec celui de son père Jean le Bon, dont la grande sensibilité se traduit par des explosions de colères non contenues, et qui ne s’entoure que de personnes avec lesquelles il a des liens d’amitié238. Très tôt, la mésentente est manifeste entre père et fils aux personnalités si dissemblables241.
Charles V est très instruit : Christine de Pizan le décrit comme un intellectuel accompli maîtrisant les sept arts libéraux242. C’est aussi un roi très pieux. Sa dévotion l’aide à supporter les épreuves, le sort s’acharnant longtemps à ne pas lui donner d’héritier, et étant sujet à de nombreux problèmes de santé devant lesquels la médecine de l’époque reste démunie243. Il soutient notamment l’expansion de l’ordre des Célestins244.
Comme son père Jean le Bon, Charles V manifeste un vif intérêt pour la Bible. Il lit la Bible entière dans l’année à raison de quelques pages chaque jour. À une époque où les exemplaires de la Bible en français sont très rares, il fait réviser la traduction de la Bible en français. Il distribue des exemplaires de la Bible dans différents dialectes à plusieurs de ses seigneurs, afin de répandre le Livre saint dans les provinces du Royaume. Ses successeurs ont conservé la bible dont il se servait pendant plusieurs générations245.
Il est également adepte de l’astrologie et de diverses sciences occultes. L’inventaire de sa bibliothèque en 1380 fait état de trente ouvrages traitant de géomancie, et le septième des livres de sa bibliothèque sont des ouvrages d’astronomie, d’astrologie ou d’art divinatoire246. Cependant, cela va à l’encontre de la doctrine de l’Église et de l’Université à l’époque ainsi que celle de ses conseillers : ces croyances restent dans la sphère privée du roi et n’interfèrent pas dans ses décisions politiques247.
Notes et références
Notes
- Charles V s’est fait peser avec la grande balance de Tournai240.
Références
Annexes
Sources imprimées
- Christine de Pizan, « Le livre des fais et bonnes meurs du sage roi Charles V » (1824) éd. Foucault, Coll. complète des mémoires relatifs à l’histoire de France (1re série), rév. par M. Petitot, 436 p. (consultable sur Gallica).
- Roland Delachenal (éd.), Chronique des règnes de Jean II et de Charles V : les grandes chroniques de France :
- t. 1 : 1350-1364, Paris, Librairie Renouard, 1910, [lire en ligne [archive]], [présentation en ligne [archive]].
- t. 2 : 1364-1380, Paris, Librairie Renouard, 1916, [lire en ligne [archive]].
- t. 3 : Continuation et appendice, Paris, Librairie Renouard, 1920, [lire en ligne [archive]].
Bibliographie
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
Si de nombreux ouvrages ont été utilisés, une part importante des sources provient du livre de Françoise Autrand. Ce livre cite les travaux antérieurs (ceux de Raymond Cazelles par exemple) et apporte des précisions nombreuses (il a été publié 14 ans plus tard). Cet ouvrage a été largement recoupé avec ceux de Jean Favier et de Georges Minois.
Ouvrages anciens
Biographies
Sur les autres projets Wikimedia :
- Roland Delachenal, Histoire de Charles V, vol. 1 : 1338-1358, Paris, Librairie Alphonse Picard et fils, 1909, XXXV-475 p., in-8° (présentation en ligne [archive], lire en ligne [archive]), [présentation en ligne [archive]], [présentation en ligne [archive]], [présentation en ligne [archive]].
- Roland Delachenal, Histoire de Charles V, vol. 2 : 1358-1364, Paris, Librairie Alphonse Picard et fils, 1909, 494 p., in-8° (lire en ligne [archive]).
- Roland Delachenal, Histoire de Charles V, vol. 3 : 1364-1368, Paris, Auguste Picard, 1916, XXIII-567 p., in-8° (présentation en ligne [archive], lire en ligne [archive]).
- Roland Delachenal, Histoire de Charles V, vol. 4 : 1368-1377, Paris, Auguste Picard, 1928, in-8° (présentation en ligne [archive]), [présentation en ligne [archive]].
- Roland Delachenal, Histoire de Charles V, vol. 5 : 1377-1380, Paris, Auguste Picard, 1931, in-8° (présentation en ligne [archive]), [présentation en ligne [archive]].
- Françoise Autrand, Charles V : le Sage, Paris, Fayard, 1994, 909 p. (ISBN 2-213-02769-2, présentation en ligne [arch